L’usine ORANO de Malvési avec les bassins d’évaporation des effluents radioactifs dits « nitratés »
(Crédit : Premières Lignes, Martin Boudot, film «l’Uranium de la Colère ».)
Le journal l’Indépendant à Narbonne a révélé le 2 août 2023 qu’ « une erreur a entraîné le 5 juillet un hélicoptère à larguer 2 000 litres provenant d’un bassin d’évaporation du site d’Orano Malvési de Narbonne ». L’incident s’est produit dans le cadre des opérations de lutte contre un incendie à Montredon-des-Corbières. Un hélicoptère bombardier d’eau basé à Carcassonne a en effet « effectué un ravitaillement en eau dans les bassins de décantation de la société Orano…/…Un équipage de pompiers a été impacté par un largage…“. Le journal précise que la source de ce message, émane de la Direction Générale de la Sécurité Civile et de la Gestion de Crise (DGSCGC) au ministère de l’Intérieur.
Insuffisance des dispositifs de sécurité du site ORANO
usine de conversion d’uranium. Pratiquement tout l’uranium utilisé pour faire fonctionner les centrales nucléaires françaises passe par Narbonne. Les pics de production d’uranium sous forme d’UF4 ont pu dépasser 12 000 tonnes par an.
Le fait qu’un hélicoptère ait pu prélever des liquides dans un bassin de ce site constitue un grave dysfonctionnement. Il montre les insuffisances des dispositifs de sécurité censés empêcher des intrusions sur le site. Un acte terroriste ou un crash d’hélicoptère sur certaines parties de cette installation pourraient conduire à des explosions et à la dispersion dans l’environnement de produits radioactifs et de produits chimiques toxiques (ammoniac, acide fluorhydrique, acide nitrique). Rappelons que l’usine de Malvesi est classée Seveso seuil haut. La CRIIRAD avait d’ailleurs dénoncé en 2006 le fait que le parc à fûts de concentrés d’uranium soit à l’air libre sans protection (il peut contenir jusqu’à 37 000 tonnes de concentrés d’uranium). La situation n’a pas vraiment évolué depuis.
Des effluents nitratés qui sont en réalité aussi radioactifs.
Les liquides présents dans les bassins d’évaporation d’ORANO sont systématiquement1 présentés par l’exploitant comme des « effluents nitratés », c’est d’ailleurs ainsi qu’ils sont désignés dans l’article de l’indépendant. Ce sont également des effluents radioactifs auxquels les riverains sont d’ailleurs régulièrement exposés2. L’hélicoptère a donc déversé par erreur dans l’environnement 2 000 litres d’effluents chimiques et radioactifs.
Les documents d’AREVA, consultés par la CRIIRAD, indiquent en effet que les « effluents nitratés » présents dans les bassins d’évaporation contiennent 47 radionucléides différents. A titre indicatif,certains sont parmi les substances radioactives les plus radiotoxiques par inhalation (thorium 230, actinium 227, plutonium 238, etc.). Leur radioactivité est estimée en moyenne à 7 177 Becquerels par litre (valeur maximale de 13 242 Bq/l selon les documents AREVA).
Quelles conséquences pour les pompiers et l’environnement ?
Selon la sous-préfète de l’Aude, citée par l’indépendant : “Des prélèvements ont été réalisés sur la zone de largage et les pompiers impactés, et les résultats des examens ont démontré l’innocuité de cette exposition“. Le journal évoque des analyses environnementales effectuées par l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire et des contrôles sur les pompiers effectués sur le site nucléaire de Marcoule dans le Gard.
Il s’agit certes d’effluents radioactifs de très faible activité et on peut supposer qu’il s’agit de très faibles doses, mais pour se prononcer sur l’impact pour les pompiers et pour l’environnement, il faudrait avoir des précisions sur les conditions d’exposition, la surface touchée et vérifier que les analyses effectuées sont adaptées. Certaines des substances présentes dans ces effluents sont très difficiles à mesurer (comme le technétium 99 par exemple, émetteur bêta pur, dont la demi-vie est de plus de 211 000 ans).
Mais nous n’avons trouvé, sauf erreur, sur les sites web des différents organismes, aucun rapport détaillant les mesures effectuées, ni aucune déclaration d’incident sur le site de l’Autorité de Sûreté Nucléaire.
Contact scientifique : Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire, directeur du laboratoire de la CRIIRAD (bruno.chareyron@criirad.org)
1 Déjà en 2004, lors de la rupture de la digue d’un entreposage de déchets à Malvesi, plusieurs dizaines de milliers de mètres cubes de liquides et boues s’étaient déversés dans la plaine de la Livière, à l’est de l’usine. L’industriel avait prétendu qu’il ne s’agissait que de déchets nitratés. Les analyses effectuées en 2006 par le laboratoire de la CRIIRAD, avec l’aide de riverains, avaient révélé une forte contamination de ces boues par de l’uranium, bien sûr, mais aussi par tout un cocktail de substances radioactives dont du plutonium. Ces révélations avaient conduit les autorités à exiger le classement d’une partie de l’usine de Malvesi en Installation Nucléaire de Base.
2 Les bassins étant à l’air libre, des épisodes venteux dispersent régulièrement de très fines gouttelettes de ces effluents sous forme d’embruns. Les études effectuées par la CRIIRAD avec le Collectif Vigilance Malvezy ont d’ailleurs permis de montrer en 2020-2021 que de l’uranium émanant du site ORANO est détectable à plus de 2 kilomètres sous les vents.