12/1998 – Irrégularités à la centrale nucléaire de Saint Alban

La CRII-RAD a étudié le dossier présenté par EDF pour obtenir de nouvelles autorisations de rejets radioactifs, chimiques et thermiques dans l’environnement. Compte tenu des affirmations erronées et des lacunes du dossier constitué par EDF, la CRII-RAD a adressé un mémorandum aux ministres de l’Industrie, de l’environnement et de la Santé demandant l’annulation de l’enquête publique.

La plus grande partie des rejets de la centrale nucléaire de Saint-Alban est constituée par du tritium, c’est-à-dire de l’hydrogène radioactif : le tritium représente 99,99 % de la radioactivité rejetée dans le Rhône et plus de 40 % de la radioactivité rejetée dans l’atmosphère. Pour évaluer l’impact de ces rejets, 30 analyses de tritium ont été effectuées. Or, aucun résultat ne figure dans le dossier. Est-ce de la négligence ? est-ce délibéré ? L’eau, les légumes, le vin sont-ils contaminés par le tritium ? Personne ne le sait. Il s’agit d’une carence grave qui met en question la capacité des services de l’État – DSIN, OPRI et IPSN – à expertiser le dossier de l’exploitant.

La CRII-RAD demande également que les autorisations de rejets attribuées à EDF soient fortement revues à la baisse et constituent de véritables limites, incitant l’exploitant à avancer vers le rejet zéro. Compte tenu des propriétés cancérigènes, mutagènes et tératogènes des substances radioactives rejetées par les centrales nucléaires, il n’est pas acceptable que l’État accorde à l’exploitant des autorisations de rejets totalement surévalués par rapport aux besoins réels de l’installation.

Pour en savoir plus, ci-après :

  1. Mémorandum adressé aux ministres de l’Environnement, de l’Industrie et de la Santé.
  2. La centrale nucléaire de Saint-Alban dans l’illégalité depuis le 1er janvier 1998.
  3. Participation au débat

1. Mémorandum adressé aux ministres de l’Environnement, de l’Industrie et de la Santé


Valence, le 8 janvier 1999

Madame Dominique VOYNET
Ministère de l’Environnement
et de l’Aménagement du Territoire
20, avenue de Ségur
75007 PARIS

MEMORANDUM adressé aux
Ministres de la Santé, de l’Environnement et de l’Industrie en vue d’obtenir l’annulation de la procédure d’enquête publique concernant le renouvellement des autorisations de rejets et prise d’eau de la Centrale nucléaire de Saint-Alban / Saint Maurice l’Exil
Madame la Ministre,

EDF a demandé l’attribution de nouvelles autorisations de rejets radioactifs, chimiques et thermiques pour la centrale nucléaire qu’elle exploite sur la commune de Saint-Alban, dans le département de l’Isère.

La demande est instruite par la Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires, conformément aux dispositions du décret 95-540 (article 6). Ce texte stipule clairement que le dossier présenté par EDF doit être contrôlé, et si nécessaire corrigé, avant d’être transmis à l’échelon local pour consultation des populations et élus concernés :

“Si les ministres chargés de l’industrie et de l’environnement estiment que la demande est irrégulière ou incomplète, ils invitent le demandeur à régulariser le dossier. Dès que le dossier déposé par le demandeur est jugé régulier et complet par le service instructeur, les ministres chargés de l’industrie et de l’environnement adressent la demande pour avis, au ministre chargé de la santé et au ministre chargé de la sécurité civile.” (cf. article 10)

Grâce à l’intervention de la municipalité de Roussilon, notre association pu obtenir un exemplaire du dossier tel qu’il a été soumis à enquête en novembre et décembre dernier. L’analyse de ces documents a révélé que le dossier présenté par EDF est entaché de lacunes graves et contient des affirmations fausses. Ces anomalies ont eu pour conséquence d’induire en erreur les citoyens, collectivités et organismes appelés à se prononcer sur le projet ce qui justifie, à notre avis, l’annulation de l’enquête.

Nous sollicitions par conséquent votre intervention afin que la procédure soit interrompue, que la DSIN réexamine le dossier et fasse procéder aux corrections qui s’imposent avant de soumettre la demande à une enquête publique en bonne et due forme.

Notre laboratoire se tient à votre disposition pour une discussion plus approfondie sur toutes les questions que soulève ce dossier. Le document ci-après ne développe que les points qui nous ont paru les plus significatifs et les plus préoccupants :

1. l’absence de près d’1/3 des résultats d’analyses : le dossier ne contient ni les résultats des mesures de tritium, ni les résultats des mesures de carbone 14.

2. des déclarations fausses sur la situation réglementaire de la France en matière de radioprotection, sur la réduction des limites de rejet et surtout sur la signification des limites de dose définies par la CIPR.

Nous avons établi un constat analogue – lacunes, erreurs et irrégularités – sur d’autres dossiers que nous avons étudiés cette années, en particulier celui de la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux et de l’usine FBFC de Romans-sur-Isère.

Dans un entretien que nous avons eu au sujet du dossier FBFC Romans, l’un des responsables de l’OPRI nous a confirmé avoir identifié nombre des anomalies dont nous faisions état, mais il a conclu la discussion en nous disant en substance : Rassurez-vous, de toute façon, tout le dossier sera revu plus tard avec la DSIN et l’exploitant.

Si tant est qu’elle est suivie d’effet, cette déclaration peut être considérée comme rassurante sur le fond du dossier, elle ne l’est pas du tout sur le plan de la démocratie. Elle est révélatrice du peu de considération que les services d’État accorde à a consultation des citoyens. Si la phase d’enquête publique a véritablement un sens, il faut que les informations données au citoyen dont on sollicite l’avis soient correctes. Ce n’est pas une demande extrémiste. C’est ce qu’exige la réglementation.

Dans les colloques, on n’entend plus parler que de transparence et de citoyenneté, mais ces discours ont du mal à s’inscrire dans la réalité. Cette situation développe, au sein des associations qui travaillent sur le terrain, un sentiment d’exaspération.

Le dossier de Saint-Alban revêt, à cet égard, un caractère exemplaire et nous serons très attentifs à la position que vont adopter les trois ministères concernés.

Il nous paraît essentiel que le ministère de l’Environnement se soucie de garantir au citoyen, sinon une véritable participation aux décisions, du moins une information fiable sur les projets qui lui sont soumis et qui concernent sa santé et son environnement

Il est également important de déterminer si les irrégularités des dossiers réglementaires sont imputables à des négligences ou relèvent d’actions délibérées visant à faire aboutir plus facilement les demandes de l’exploitant.

Restant dans l’attente de votre décision et à votre disposition pour tout complément d’information, nous vous prions d’agréer, Madame la Ministre, l’expression de notre très sincère considération.

Pour la CRII-RAD
La directrice
Corinne CASTANIER

PJ : argumentaire de 5 pages.


2. La centrale nucléaire de Saint-Alban dans l’illégalité depuis le 1er janvier 1998.


Le 11 mai 1984, par arrêté du service de la navigation Rhône-Saône, EDF a obtenu l’autorisation de prélever et de rejeter dans le Rhône l’eau nécessaire à l’alimentation de la centrale nucléaire de Saint-Alban / Saint-Maurice. L’article 4 de l’arrêté précisait que l’autorisation était “accordée pour une durée de quinze ans, à compter du 1er janvier 1983 et venant à expiration le 31 décembre 1997. Elle cessera de plein droit, à cette date, si l’autorisation n’est pas renouvelée.” Le décret du 4 mai 1995 prévoit que les autorisations de prise d’eau sont désormais délivrées par arrêté conjoint des ministres chargés de l’Industrie, de la Santé et de l’Environnement. Un arrêté interministériel d’autorisation aurait donc dû intervenir avant le 1er janvier 1998. Cela n’a pas été fait. La centrale nucléaire fonctionne donc, et depuis plus d’un an, sans autorisation légale, une situation qui ne peut que se prolonger pendant encore plusieurs mois. Des réflexions sont en cours sur les suites judiciaires à donner à cette infraction qui pose tout autant la responsabilité d’EDF que celle des autorités de contrôle.


3. Participer au débat


La question des autorisations de rejet intéresse tous les citoyens, leurs représentants élus, les parents, les médecins et tous les professionnels qui peuvent être pénalisés par les rejets de la centrale, en particulier les agriculteurs et les viticulteurs. En 1995, les riziculteurs de Camargue ont eu des problèmes pour exporter leur production. Les inondations avaient, en effet, provoqué le déversement des sédiments du Rhône sur une partie de leurs terrains. Or, ces sédiments étaient chargés de substances radioactives provenant des centrales implantées en amont et surtout de l’usine de retraitement de Marcoule. Parmi les questions soulevées par les riziculteurs : pourquoi n’avons-nous pas notre mot à dire sur les quantités de radioactivité que ces installations peuvent rejeter ? Pourquoi Marcoule peut rejeter du plutonium et d’autres produits qui viennent se concentrer chez nous et qui vont rester dangereux pendant des milliers d’années ?

Contrairement à ce qu’indique le dossier présenté au public, les limites de rejet ne sont pas des limites sans danger. Il est évident que si les limites de rejet étaient des limites d’innocuité, aucun débat ne serait nécessaire. Les experts de la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) ont officiellement pris position sur l’effet cancérigène et mutagène de la radioactivité, même à très faible dose. C’est pour cette raison que la CIPR préconise un débat entre tous les intéressés. En effet, dès lors qu’il n’y a pas de seuil d’innocuité, la limite réglementaire ne peut que résulter d’un compromis entre des intérêts divergents : ceux d’EDF, bien sûr qui souhaite disposer de limites peu contraignantes, mais aussi ceux des parents qui voudront préserver au maximum le capital santé de leurs enfants ou encore ceux des producteurs dont l’intérêt objectif est d’obtenir le moins de radioactivité possible dans leur récolte.

Les autorisations demandées sont très supérieures aux besoins réels :

  • la limite demandée pour les rejets gazeux est 31 fois supérieure aux rejets réels de 1996 ;
  • la limite demandée pour les rejets d’halogènes et d’aérosols est 76 fois supérieure aux rejets de 1996 ;
  • la limite demandée pour les rejets liquides hors tritium est plus de 200 fois supérieure aux rejets de 1996.