La découverte de la contamination
En 2003, le laboratoire de la CRIIRAD procédait à une série de contrôles radiologiques dans l’environnement de l’ancien site de Saint-Pierre, dans le Cantal.
Le site abritait en effet deux types d’installations à risque sur le plan radiologique : une mine d’uranium (exploitée de 1958 à 1981) et une usine d’extraction de l’uranium (exploitée de 1976 à 1985). De source officielle, 1 350 tonnes d’uranium ont été extraites ; 530 000 tonnes de déchets radioactifs ont été enfouies dans l’excavation de la mine à ciel ouvert et 70 000 tonnes de résidus fins et boues dans les bassins de décantation.
Les investigations étaient financées par une association locale, « Nos enfants et leur sécurité », soucieuse des risques associés au plan d’eau aménagé dans la zone d’influence directe du site minier.
Elles ont permis de mettre en évidence (2003 puis 2004) :
- la contamination radiologique et chimique des eaux issues du secteur minier et par voie de conséquence des sédiments aux abords et dans le plan d’eau touristique aménagé au débouché d’une partie des eaux provenant du site minier ;
- des niveaux d’irradiation anormalement élevés dans des secteurs publics (mur d’escalade, proximité du stand de tir, terrain de foot, bordure du lotissement communal…) suggérant la présence de matériaux radioactifs en surface du sol.
Sollicité par les associations locales et la CRIIRAD, le Conseil régional d’Auvergne acceptait de financer une étude complémentaire de plus grande envergure permettant de répondre à ces interrogations.
L’intervention des autorités
En réaction à ces différentes actions, les autorités mettaient en place une Commission Locale d’Information (CLI) et demandaient que l’étude soit confiée à l’expert officiel, l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire.
Au mieux, la CRIIRAD ne devait être associée qu’à la phase d’interprétation des résultats obtenus par l’IRSN. La mobilisation des associations et la fermeté des élus a permis de faire échouer la tentative d’éviction de la CRIIRAD.
Les études ont été conduites en parallèle par l’IRSN, intervenant pour l’Etat sur financement d’Areva, et par le laboratoire de la CRIIRAD, intervenant pour les associations et les élus, sur financement de la région Auvergne et du département du Cantal.
Les résultats de la première phase (étude documentaire et repérages préliminaires) et de la seconde phase (réalisation de prélèvements et analyses en laboratoire) ont été présentés à la CLI, respectivement le 19 mai 2006 et le 28 septembre 2007, à la sous-préfecture de Mauriac.
Ils sont rendus publics ce jour par la CRIIRAD (mise en ligne du rapport complet) et feront l’objet d’une présentation à la population ce vendredi 30 novembre à 20H30 à Ydes près de Saint-Pierre.
Les résultats de l’étude
- La présence de déchets radifères dans le domaine public y compris le sol d’un lotissement communal : niveaux de radium 226 supérieurs à 47 000 Bq/kg dans le sol du terrain de foot, à 10 000 Bq/kg dans le sol devant une villa du lotissement, 76 000 Bq/kg dans le sol au nord du terrain de camping, 29 000 Bq/kg dans le bois au nord du stand de tir, soit de l’ordre de 100 fois à 700 fois plus que le niveau naturel des sols de la région. Il s’agit le plus souvent de résidus de traitement de minerai d’uranium.
- La plupart des parcelles contaminées ne sont soumises à aucune servitude : rien ne permet de limiter l’exposition des personnes qui y vivent ou qui les fréquentent.
- A l’intérieur du site, dans le secteur de l’usine, théoriquement démantelé et assaini, les quelques contrôles réalisés ont permis de repérer des contaminations résiduelles inacceptables dont la présence de matières de type « yellow cake » avec une activité massique de plus de 3 millions de Bq/kg en uranium 238 (soit plus de 30 000 fois le niveau naturel de référence).
- Ces matériaux radifères ou uranifères méritent la qualification de « déchets radioactifs » de type TFA à vie longue et pour certains de type FA à vie longue et devraient être entreposés sur un site de stockage spécifique avec des garanties de confinement appropriées. A Saint-Pierre, certains de ces déchets sont à même le sol. Ils entrainent de ce fait une irradiation gamma anormalement élevée et une exhalation de gaz radioactif (radon 222), 5 à plus de 100 fois supérieure à celle mesurée sur des terrains naturels du secteur.
- La présence de ces déchets radioactifs en surface ou à très faible profondeur entraine également une contamination radiologique et chimique des eaux de ruissellement et des eaux souterraines qui s’écoulent en particulier du site minier vers le plan d’eau (attestée notamment par des prélèvements au niveau du puits Gérémy). Cette contamination conduit à de fortes accumulations d’uranium 238 dans les fossés du plan d’eau (jusqu’à 144 000 Bq/kg). Des anomalies sont également détectées dans une prairie à l’ouest du site minier (39 800 Bq/kg) et dans les sédiments du Combret au Nord avant confluence avec la Dordogne (7 800 Bq/kg).
- Environ 530 000 tonnes de résidus radioactifs issus du traitement des minerais ont été simplement déversés dans l’ancienne carrière : déversés bruts sans conditionnement, et dans une excavation dépourvue de confinement . Ils constituent un terme source considérable et pour le très long terme. La période du thorium 230, un radionucléide clé, étant de 75 000 ans, les résidus d’extraction de l’uranium constituent une source de pollution considérable sur environ un million d’années. Si les déchets ne sont pas retirés, les transferts vont s’opérer sur le très long terme et pourront s’accélérer en fonction des évolutions climatiques. L’autorisation de l’aménagement du plan d’eau touristique à cet emplacement est une aberration et témoigne d’un grave dysfonctionnement au niveau des autorités concernées. Faute de l’interdire, il faudra maintenir une surveillance permanente (y compris sur la destination des boues de curage) et aussi longtemps qu’il sera utilisé.
Dans les zones contaminées ouvertes au public, le cumul des expositions externes et internes révèle des niveaux de dose (certes dans le domaine dit des « faibles doses ») mais qui ne sont pas négligeables sur le plan sanitaire, y compris pour des temps d’exposition courts de quelques minutes par jour, cumulés sur toute l’année.
- Enfin, des niveaux de radon très élevés ont été mesurés dans certains bâtiments avec des dépassements du seuil de 1 000 Bq/m3 qui impose d’intervenir d’urgence dans les bâtiments qui accueillent du public. Or le temps de présence dans les bâtiments accueillant du public est généralement nettement inférieur au temps de présence dans les habitations (le risque dépend du taux de radon dans l’air et du temps de présence). Dans une chambre d’un pavillon du lotissement communal construit sur des terrains contaminés par le radium 226, la CRIIRAD a mesuré 5 000 Bq/m3 alors qu’à quelques centaines de mètres, dans un autre pavillon du lotissement voisin (construit sur terrain naturel), la concentration en radon n’était que de 62 Bq/m3). La moyenne de la concentration en radon dans les habitations du Cantal est estimée par l’IRSN à 161 Bq/m3.
Certains groupes de population peuvent donc subir des expositions annuelles ajoutées bien supérieures à la dose maximale annuelle admissible.
La CLI a décidé de confier à l’IRSN, dans le cadre de phase 3 de l’étude, une analyse détaillée des risques sanitaires et la formulation de recommandations. La CRIIRAD pourrait être associée à cette 3ème phase.
Lors de la CLI de septembre 2007, la CRIIRAD a rappelé sa demande que des actions soient rapidement mises en œuvre pour abaisser les concentrations en radon dans les habitations concernées et que l’administration interdise toute nouvelle construction ou aménagement sur les terrains contaminés.
Défaut de contrôle
Les investigations conduites par la CRIIRAD permettent de conclure à des contaminations de nombreux secteurs du domaine public par des déchets radioactifs provenant du site (selon le cas, résidus d’extraction ou stériles) alors qu’aucune servitude n’a été instaurée. Une modification récente du PLU autorisait même de futurs aménagements (dont la construction de bâtiments) sur des parcelles dont l’étude a montré qu’elles étaient contaminées.
Les enjeux
Dans un Etat de droit il est légitime qu’un niveau minimum de protection soit garanti aux citoyens au niveau national.
Il est anormal que la mise en œuvre de travaux de décontamination ainsi que leur importance soit tributaire de la mobilisation des associations et de l’engagement du laboratoire de la CRIIRAD.
Il appartient aux autorités :
- De prendre des mesures pour empêcher toute remise dans le domaine public de terrains contaminés / de revoir la méthodologie utilisée par les services de l’Etat et leurs experts pour établir les états des lieux environnementaux / de mettre en place des sanctions pour les auteurs d’expertises dissimulant ou minorant manifestement les contaminations.
- De sanctionner les responsables, qu’il s’agisse des anciens exploitants qui vendent ou cèdent ces terrains alors qu’ils ne peuvent ignorer leur niveau de contamination, ou des services de l’Etat et des experts officiels qui délivrent des quitus / effectuent des bilans inadaptés, soit de bonne foi (faute de méthodologie adaptée), soit en toute connaissance de cause.
- De rendre public les niveaux de référence : à partir de quel niveau de pollution radioactive les autorités ont-elles obligation d’intervenir ? Quels sont les objectifs d’assainissement, les niveaux de risques résiduels jugés acceptables (ils sont actuellement 10 voire 100 fois supérieurs aux critères retenus pour les sites pollués par voie chimique) ? L’opacité ouvre la porte à tous les abus et à des situations extrêmement inégales sur le territoire.
- De revoir les conditions de stockage des déchets radioactifs miniers et des résidus d’extraction de l’uranium, conditions totalement dérogatoires aux règles habituelles de sécurité et de confinement des matières radioactives.
La protection des personnes devrait être garantie par l’Etat.
Les constats effectués par la CRIIRAD à Saint-Pierre concernent en réalité de très nombreux autres sites contaminés : site miniers uranifères et sites industriels en Haute-Vienne (La Crouzille, Jouac…), en Loire-Atlantique (L’Ecarpière…), dans l’Héraut (Lodève…), dans la Loire et l’Allier (Bois noirs…) et en Saône-et-Loire (Gueugnon…).
Notes
Le site de Saint-Pierre a été exploité par la SCUMRA, puis par TCMF (Total Compagnie Minière France). A partir de 1994 il a été placé sous la responsabilité de SMJ (Société des mines de Jouac) et de Cogéma / AREVA.