Contexte
Les centrales nucléaires sont autorisées à rejeter, de manière chronique, des éléments radioactifs dans l’atmosphère et dans les cours d’eau, mers ou océans qui les bordent.
Dans le cadre de la constitution d’un dossier de sensibilisation sur l’impact des rejets liquides sur le milieu aquatique fluvial, le Réseau Sortir du nucléaire a demandé au laboratoire de la CRIIRAD d’effectuer une analyse en aval des émissaires de rejets liquides d’une des centrales nucléaires françaises en fonctionnement.
La centrale de Golfech
Situation géographique : Tarn-et-Garonne, commune de Golfech
Construction : 1982-1984
Mise en service : 1991-1994
Réacteurs actifs : 2 réacteurs de 1 310 MW
Production annuelle : 17,05 TWh (2019 – source AIEA)
Sur la base des données acquises dans le cadre d’études antérieures, la CRIIRAD a proposé :
- De faire porter les analyses sur des végétaux aquatiques du fait de leur capacité d’accumulation d’un certain nombre de substances radioactives rejetées dans les eaux.
- De mettre en œuvre, outre des analyses par spectrométrie gamma, une vérification de l’activité du tritium organiquement lié et du carbone 14.
- D’effectuer les prélèvements en aval du CNPE de Golfech, compte tenu des résultats obtenus en 2009 et 2019 qui indiquaient une bioaccumulation significative de tritium organiquement lié et de carbone 14 en aval de la centrale.
Historique du travail de la CRIIRAD sur les rejets de Golfech
Dès 1991, les militants des associations Vivre Sans le Danger Nucléaire de Golfech (VSDNG), les Amis de la Terre Midi Pyrénées (ATMP) et l’association des malades de la Thyroïde avaient sollicité le laboratoire de la CRIIRAD afin d’étudier l’état radiologique de la Garonne du fait notamment de la présence de la centrale nucléaire de Golfech. Le laboratoire de la CRIIRAD avait ainsi travaillé conjointement avec les associations locales et avait pu mettre en évidence la présence d’iode 131. Ce radionucléide artificiel était présent également en amont de la centrale nucléaire et provenait des rejets radioactifs des établissements hospitaliers de l’agglomération toulousaine (et des rejets diffus effectués par les patients).
>> En savoir + : https://www.criirad.org/rayonnements-ionisants-et-pratiques-medicales/
Afin d’effectuer un contrôle plus spécifique de l’impact des rejets radioactifs liquides du CNPE de Golfech, l’association VSDNG avec le soutien scientifique du laboratoire de la CRIIRAD, avait mené en 2009 une campagne d’analyse de végétaux aquatiques prélevés dans la Garonne, en amont et en aval de la centrale.
Les analyses avaient révélé qu’il y avait plus de 4 fois plus de tritium organiquement lié à Lamagistère, 870 mètres en aval des rejets de Golfech, qu’en amont (tritium non détecté en amont). Quant au carbone 14, il y en avait presque 2 fois plus en aval.
Afin de vérifier la situation 10 ans après, une nouvelle campagne de mesures avait été mise en œuvre à l’automne 2019. L’activité en tritium organiquement lié en aval (14,3 Becquerel1 par litre d’eau de combustion2) était au moins 4 fois supérieure à celle de la station amont (dont l’activité était inférieure à la limite de détection : < 3,0 Bq/l d’eau de combustion). Pour le carbone 14, l’activité en aval (666 Bq/kg de carbone) était plus de 3 fois supérieure à celle mesurée à la station amont (217 Bq/kg de carbone).
*Les prélèvements réalisés en 2009 ont concerné des espèces de plantes aquatiques différentes de celles prélevées en 2019. Il s’agissait de Cératophylles pour la station amont et de Fontinales pour la station aval et non de Myriophylles en épi comme en 2019. Par ailleurs, en 2009 les stations de prélèvement étaient situées pour l’amont à 20 km de l’émissaire de rejet en rive gauche et pour l’aval à 870 m en rive droite. Pour la campagnede 2019 la station amont est située à Malause en rive droite à 12,9 km de l’émissaire de rejet et la station aval est située à Lamagistère en rive droite à 1,35 km.
>> Pour plus d’information sur ces études voir la page internet de la CRIIRAD consacrée à la centrale de Golfech : https://www.criirad.org/categorie/centrales-nucleaires/centrales-electronucleaires-france/site-nucleaire-de-golfech/
Etude 2022
À l’été 2022, dans le cadre d’une campagne sur l’impact des rejets liquides des centrales nucléaires sur le milieu aquatique, le Réseau “Sortir du nucléaire” s’est adressé au laboratoire de la CRIIRAD pour effectuer une analyse en aval des émissaires de rejets liquides d’une des centrales nucléaires françaises en fonctionnement.
Le tritium et le carbone 14 représentent plus de 99,99% des rejets radioactifs liquides des centrales. C’est pourquoi, la CRIIRAD a proposé d’orienter l’étude sur la contamination de l’environnement par ces radionucléides et de faire porter les contrôles sur les plantes aquatiques : organismes capables d’accumuler un certain nombre de substances radioactives.
Compte tenu des résultats obtenus par la CRIIRAD et les associations locales en 2009 et 2019 qui indiquaient une bioaccumulation significative de tritium organiquement lié et de carbone 14 en aval de la centrale de Golfech, le choix du site s’est porté sur Golfech.
Début juin, les militants locaux avec lesquels la CRIIRAD a l’habitude de travailler se sont rendus en bord de Garonne pour réaliser des prélèvements de plantes aquatiques aux mêmes endroits que lors de l’étude de 2019, soit à Malause, à 13 km en amont de la centrale en rive droite, et à Lamagistère à 1,35 km en aval des rejets en rive droite. Les analyses de tritium organiquement lié et de carbone 14 ont été réalisées par le laboratoire spécialisé RCD Lockinge basé en Angleterre.
Les résultats obtenus lors de cette 1ère campagne de prélèvement montrent clairement l’impact de la centrale pour ce qui concerne le tritium et le carbone 14 :
- L’activité en tritium organiquement lié en aval de la centrale est près de 2 fois supérieure à celle de la station amont (5,88 contre < 3,0 Bq/l d’eau de combustion).
- L’activité en carbone 14 en aval (252 Bq/kg de carbone) est également supérieure à celle mesurée en amont (206 Bq/kg de carbone).
Les plantes aquatiques ayant été prélevées dans des conditions de fort débit de la Garonne et en début de croissance des végétaux aquatiques, il a été décidé de renouveler les prélèvements en fin d’été où les débits de la Garonne, et donc le pouvoir de dilution des rejets par le cours d’eau, sont au plus bas.
Les militants locaux se sont donc rendus sur le terrain fin août 2022 pour effectuer de nouveaux prélèvements.
Les résultats obtenus révèlent une nette augmentation des activités entre les prélèvements de juin et d’août 2022 : l’activité en tritium des plantes prélevées en août est en effet 4 fois supérieure à celle des plantes prélevées en juin !
Concernant l’activité en carbone 14, on note une augmentation de 40% entre le premier et le second prélèvement !
Ces résultats tendent donc à confirmer que le débit de la Garonne et le stade végétatif des plantes aquatiques ont un impact sur les activités incorporées tant pour le tritium que pour le carbone 14.
En outre, d’autres paramètres peuvent contribuer à ces variations temporelles. En particulier l’intensité et les modalités de rejets dans les semaines et les mois qui précèdent l’échantillonnage. L’historique des données des rejets radioactifs liquides des centrales n’est malheureusement pas mis à la disposition du public par l’exploitant. Par ailleurs, EDF a toujours répondu négativement aux demandes de la CRIIRAD pour que soient communiqués à l’avance les dates des rejets (ce qui permettrait de cibler les contrôles)
Conclusions et perspectives
L’analyse des plantes aquatiques de la Garonne prélevées les 7 juin et 29 août 2022 confirme une nouvelle fois la contamination chronique et persistante du milieu naturel en aval de Golfech, en particulier par le tritium et le carbone 14. Or, la surveillance de l’exploitant vis-à-vis de ces radionucléides est clairement insuffisante !
Le tritium et le carbone 14 sont respectivement des isotopes radioactifs de l’hydrogène et du carbone. Comme toute la matière vivante est constituée d’atomes d’hydrogène et de carbone, une partie du tritium et du carbone 14 rejetés dans l’environnement se retrouvera in fine dans les cellules des organismes vivants y compris dans l’ADN, créant à la longue une irradiation interne qui augmente les risques de cancer (entre autres). Rejeter du tritium et du carbone 14, c’est augmenter les risques pour la faune, la flore et les êtres humains !
Dans le cas de Golfech, l’impact est d’autant plus préoccupant que les eaux potables de dizaines de communes, dont celle d’Agen, sont puisées directement dans la Garonne en aval des rejets de la centrale. L’étude des résultats du contrôle sanitaire des eaux potables de la région de Golfech, réalisée par la CRIIRAD et couvrant la période de janvier 2016 à septembre 2021, montre une contamination des eaux potables par le tritium pour une trentaine de communes, jusqu’à une cinquantaine de kilomètres en aval de Golfech ! L’impact est également détectable jusqu’à une centaine de kilomètres.
1 Le Becquerel est l’unité de mesure de la radioactivité. Il mesure le nombre de transformations ou désintégrations d’atomes en 1 seconde. Cette désintégration s’accompagne de l’émission d’un rayonnement. https://www.asn.fr/lexique/b/Becquerel2
2Le tritium organiquement lié (TOL) correspond à la fraction du tritium qui est associée à la matière organique (à l’issue de divers mécanismes de synthèse de la matière vivante), par opposition au tritium libre qui correspond par exemple au cas où l’atome de tritium est constitutif d’une molécule d’eau. Pour déterminer l’activité du tritium organiquement lié, les échantillons subissent une dessiccation à 110°C jusqu’à élimination complète de l’eau contenue. La matière fait ensuite l’objet d’une combustion dans de l’oxygène pur pour produire des molécules de CO2 et H2O. C’est l’eau issue de la combustion qui fait alors l’objet d’un comptage par scintillation liquide pour déterminer l’activité volumique du tritium exprimée en becquerels par litre d’eau de combustion. Il est également possible de ramener cette activité en becquerels par kilogramme de matière.