07/12/1999 – Campagne publicitaire COGÉMA : lettre de la CRII-RAD à la COGEMA

Campagne publicitaire COGÉMA

Lettre de la CRII-RAD adressée à :

Mme Anne LAUVERGEON
COGÉMA
2, rue Paul-Dautier
BP 4
78141 VÉLIZY Cedex

 

Objet : campagne publicitaire COGÉMA
Ref. CC-AL/COGÉMA-99/1207-J3

Valence, le 7 décembre 1999

 

Madame la Présidente Directrice Générale,

Vous avez confié à l’agence Publicis consultant la réalisation d’une campagne destinée à améliorer l’image de la COGÉMA et, plus précisément, celle de l’usine de retraitement de La Hague. D’après les déclarations du responsable de l’agence précitée, il s’agissait de “casser” l’image d’un groupe déshumanisé, opaque et ne rendant compte à personne pour lui substituer celle d’une entreprise à visage humain, sous contrôle et ouverte à tous (d’où les web-cam, l’interview de travailleurs, etc).

Compte tenu des moyens déployés – les chiffres publiés oscillent entre 23 et 24 millions de francs-, peu nombreuses sont les personnes – internautes, lecteurs de grands quotidiens, d’hebdomadaires ou téléspectateurs – qui ont pu échapper aux messages publicitaires diffusés depuis un mois. Le thème de la campagne a même été repris dans des articles de fond, ainsi celui paru le 30 octobre dans Le Monde et annonçant que “Rompant avec la culture du secret, COGÉMA décide de jouer la transparence”.

Nous avons étudié le contenu des spots télévisés, des pages publicitaires ainsi que les réponses aux questions qui servent d’accroche et invitent à se rendre sur le site internet de la COGÉMA. L’analyse montre clairement que la campagne ne se situe pas sur le terrain de l’information, mais sur celui de la communication, avec une stratégie, des cibles, des affirmations qui, pour la plupart et prises isolément, ne sont pas fausses, mais participent à une orchestration très orientée, partielle et partiale de l’information.

Il n’y a là rien que de très normal s’agissant d’une opération de propagande (au sens non polémique du terme), payée en tant que telle à une agence spécialisée dans ce type d’intervention. Le prix est à la hauteur des enjeux : à la veille de l’ouverture de l’enquête publique sur le renouvellement des autorisations de rejets radioactifs et chimiques des installations de La Hague, on comprend tout l’intérêt, pour COGÉMA, de préparer l’opinion à accueillir favorablement ses demandes.

Si nous vous sollicitons aujourd’hui, ce n’est donc pas pour tenter de vous convaincre du caractère tendancieux de cette campagne. Nous avons bien conscience que chaque terme a été soigneusement pesé en vue d’un certain résultat. Pour contrecarrer cette opération de séduction, nous solliciterons plutôt l’intelligence, l’esprit critique des citoyens français et l’énergie, l’imagination de tous ceux que ces pratiques révoltent.

Notre démarche est motivée par le fait que notre association se trouve impliquée, plus ou moins directement, dans la campagne publicitaire de la COGÉMA et que nous refusons que le nom de la CRII-RAD serve de caution à une entreprise de désinformation.

 

Nous sollicitons votre intervention sur deux éléments qui portent atteinte à notre association en détournant le fruit de son travail et en dénaturant ses prises de positions :

1. l’utilisation à contresens d’une photographie de la canalisation de rejet de La Hague que nous avions prise en mars 1997 ;

2. l’utilisation abusive des conclusions du comité Radioécologie du Nord-Cotentin.

 

1. Photographie CRII-RAD de la canalisation COGÉMA : détournement de sens

Nous avons été alertés il y a peu sur le fait que le nom de la CRII-RAD était mentionné sur l’une des pages publicitaires de la campagne Publicis/COGÉMA. Nous avons pu rapidement vérifier que nous figurions en crédit-photo d’une vue de la canalisation de rejet de l’usine de retraitement de La Hague prise le 16 mars 1997, à l’occasion de mesures radiamétriques réalisées par notre laboratoire.

Ces contrôles, effectués à la demande de Greenpeace, avaient permis de démontrer que la canalisation était à l’origine d’une irradiation importante (débit de dose de 300 µSv/h au contact, soit plus de 2 000 fois le niveau normal) et mesurable à plus de 20 mètres de distance. Etant donné l’absence de toute barrière et de toute mise en garde, des promeneurs ou des pêcheurs pouvaient s’approcher de l’émissaire, y récolter des coquillages et recevoir ainsi, à leur insu, des doses de rayonnement non négligeables, les exposant à un surcroît de risque totalement injustifié. La photographie prise par notre association était ainsi associée au constat d’une infraction commise par l’établissement COGÉMA-La Hague.

Une série de photographies prises ce jour-là par notre équipe d’intervention a été transmise à l’agence Sygma pour diffusion auprès des journalistes intéressés par le dossier. L’ensemble était associé à un texte expliquant le travail effectué, donnant le résultat des mesures et sa signification par rapport à la réglementation et à la protection du public contre les dangers des rayonnements ionisants. Les prises de vue ont ainsi été confiées à une agence de presse qui emploie des journalistes censés utiliser les documents dans un certain cadre éthique, par rapport à leur signification, et non comme une vulgaire marchandise. Surprise, sans que nous soyons à aucun moment consultés, l’une de nos photographies se retrouve entre les mains d’une agence de publicité, utilisée totalement hors contexte, au profit de la société qu’elle mettait en cause, et à l’appui d’une opération de désinformation.

Opération de désinformation en effet : dans la publicité COGÉMA, la photographie CRII-RAD est surmontée d’une question : “Que sort-il exactement du tuyau de la Hague ?” Les personnes qui souhaitent avoir la réponse correspondante se rendent sur le site internet www.cogemalahague.fr où ils retrouvent la photo accompagnée d’un texte qui leur indique que :
– l’usine de La Hague procède à des rejets liquides “comme tout site industriel” ;
“ces rejets ont deux origines : les rejets radioactifs qui sont traités, filtrés et contrôlés avant rejet et les eaux pluviales collectées sur le site”.
– les rejets sont effectués à 5 km de la côte, là où les courants garantissent une “dilution rapide”.
Ces 3 affirmations sont censées indiquer ce qui sort EXACTEMENT du tuyau de La Hague.

Après avoir lu ce texte, l’internaute a la certitude que la canalisation sert à rejeter les eaux de pluie, mais ignore totalement l’existence des rejets chimiques et peut légitimement se demander s’il y a effectivement des rejets radioactifs étant donné qu’ils sont préalablement traités et filtrés. Aucune information qualitative ou quantitative sur l’importance des activités rejetées. Les rejets de COGÉMA La Hague sont pourtant sans équivalent en France et n’ont que peu de rivaux au plan mondial. Les comparer à ceux de “tout site industriel” fera sourire toute personne informée. Pourquoi pas à ceux de tout particulier qui vide régulièrement sa baignoire ?

Nous ne pouvons croire que la COGÉMA ait besoin de l’une des rares photographies prises par notre laboratoire pour illustrer ce genre de propagande. L’usine de retraitement est implantée dans la région depuis des décennies et son fonds documentaire est assurément sans commune mesure avec celui de la CRII-RAD. Nous sommes convaincus que l’agence publicitaire que vous rémunérez recherchait spécifiquement le “crédit-photo CRII-RAD” tout comme elle avait tenté, mais en vain, d’obtenir une photographie de Greenpeace. N’ayant pas été avertis, nous n’avons pu nous opposer à cette opération de récupération mais nous tenons à vous dire que ces méthodes ne font pas honneur à ceux qui les emploient : ni à COGÉMA, ni à l’agence Publicis consultant, ni à l’agence Sygma.

 

 

Quant à l’argument présenté par un responsable de votre agence de communication selon lequel le crédit-photo de Greenpeace ou de la CRII-RAD serait recherché dans un souci d’authenticité – (c’est la vraie canalisation qui est représentée) – il ne serait recevable que dans la mesure où ce souci de vérité et de transparence animerait l’ensemble de la campagne ce qui n’est pas le cas.

 

2. L’utilisation abusive des travaux du comité radioécologie du Nord-Cotentin

La CRII-RAD est également concernée par les réponses à 3 des 9 questions qui servent d’accroche pour entraîner les lecteurs et téléspectateurs sur le site Internet de la COGÉMA :

– Est-il normal de trouver autant de fleurs à La Hague ?
– Sortie en mer du tuyau de La Hague : zéro impact sur la santé ?
– Rejets industriels de La Hague : zéro impact sur la santé ?

Les réponses à ces trois questions sont pratiquement identiques : l’impact des rejets des installations nucléaires de La Hague est présenté comme “extrêmement faible”, voire insignifiant (1). À l’appui de la véracité de cette affirmation, chacun des trois textes renvoie aux conclusions des 50 experts du comité radioécologie du Nord-Cotentin, comité constitué à l’initiative des ministères de l’Environnement et de la Santé et présidé par une responsable de l’IPSN, Mme Sugier. Les textes COGÉMA insistent ainsi sur le nombre des scientifiques concernés – “un groupe de 50 experts”– et sur la représentativité de la “commission, composée de scientifiques, d’industriels, d’experts étrangers et de représentants de mouvements associatifs”.

(1) “Les récentes conclusions du Groupe radioécologie du Nord Cotentin ont confirmé que les activités des installations nucléaires à La Hague n’avaient pas d’impact significatif sur l’environnement”, Les travaux du groupe “confirment que l’impact des rejets des installations de La Hague est aujourd’hui extrêmement faible ()”.

Ces affirmations sont trompeuses et doivent être rectifiées. En effet :

1. les scientifiques de la CRII-RAD n’ont pas avalisé les conclusions du groupe. Il est donc abusif de les présenter comme les conclusions unanimes de 50 experts.

2. le travail effectué par le comité ne portait pas sur l’établissement de l’impact sanitaire, et encore moins environnemental, des installations nucléaires de La Hague. La mission était en effet définie de façon très étroite :

· l’impact sanitaire n’a été abordé qu’à partir de la question des leucémies appréciée à partir de l’évaluation exclusive des doses à la moelle osseuse. Ni la dose collective, ni la morbidité, ni les cancers autres que les leucémies, ni l’impact des transports de matières radioactives, ni la synergie avec les rejets chimiques, avec les facteurs viraux, avec les lignes haute tension – pour ne citer que ces quelques points – n’ont été étudiés ;

· l’impact environnemental était totalement hors du champ de l’étude : ainsi aucune contamination n’a été prise en compte dans la mesure où elle ne touchait pas l’environnement tel qu’il est actuellement “consommé”. Ainsi, la contamination des nappes phréatiques, pourtant très importante, n’a pas été incluse dans les calculs au motif que ces nappes ne servent pas à l’approvisionnement en eau potable ; même remarque pour la contamination de la rivière Sainte-Hélène. Cette méthodologie très réductrice serait extrêmement pernicieuse si elle était utilisée pour établir des diagnostics environnementaux : toutes les pollutions seraient permises dans la mesure où elles n’affectent pas notre environnement utile. Tant pis si ce qui est perçu comme inutile aujourd’hui aurait pu être utile demain aux générations à venir !

En juillet dernier, lors de la rédaction des conclusions du Comité nous avions alerté Mme Sugier et les autres membres du groupe, sur l’absolue nécessité de prendre du recul sur le travail effectué et de circonscrire très précisément le champ de l’étude. C’est d’ailleurs l’une des principales raisons de notre refus d’avaliser les conclusions du groupe (avec d’autres questions de fond comme la minimisation du problème des incertitudes qui constituait, à nos yeux, un aspect fondamental du dossier). Il était pour nous impératif d’indiquer précisément les questions qui avaient été écartées ainsi que les incertitudes associées aux différentes hypothèses retenues… sans quoi les interprétations les plus abusives ne manqueraient pas de se développer, de bonne ou de mauvaise foi. Amère victoire, la campagne publicitaire de la COGÉMA confirme aujourd’hui, et de quelle façon, le bien-fondé de nos craintes.

 

3. il est erroné d’affirmer que le comité radioécologie incluait – outre des scientifiques et des industriels -, des représentants de mouvements associatifs. Les représentants du GSIEN, de l’ACRO et de la CRII-RAD sont intervenus en tant que scientifiques indépendants et non en tant que représentants du mouvement associatif. Ni le CRILAN, ni Manche Nature, ni Greenpeace, ni le collectif des mères en colère, ni le réseau sortir du nucléaire pour ne citer qu’eux n’étaient représentés dans le comité. On peut d’ailleurs le regretter car le rapport de force à l’intérieur du comité aurait sans doute été moins déséquilibré et les conclusions sensiblement différentes.

 

En conclusion, nous vous demandons :

1. d’ajouter à la photographie CRII-RAD diffusée sur votre site Internet ainsi que sur toute nouvelle insertion publicitaire, sa véritable légende :
“Photographie de la canalisation de rejet de l’usine COGÉMA de La Hague prise le 11 mars 1997, à l’occasion d’une grande marée et constatant la violation des règles de radioprotection. Aucune barrière ou signalisation de danger n’empêche les promeneurs ou les pêcheurs d’être irradiés à leur insu par le rayonnement émis.”

2. d’ajouter, à chaque mention des conclusions des 50 experts du groupe radioécologie du Nord-Cotentin “à l’exception des experts de la CRII-RAD qui ne les ont pas avalisées”.

3. de préciser que les travaux du groupe n’avaient aucunement pour objectif de déterminer l’impact environnemental et sanitaire des installations nucléaires de La Hague et de leurs rejets radioactifs et chimiques.

Sur ce dernier point, nous saisissons parallèlement la présidente du comité Nord-Cotentin, Mme Sugier, ainsi que les ministres de la Santé et de l’Environnement afin qu’une mise au point soit rédigée et publiée dans les meilleurs délais.

 

 

Restant dans l’attente de votre réponse et à votre disposition pour discuter plus en détail de ces différentes questions, nous vous prions d’agréer, Madame la Présidente Directrice Générale, l’expression de nos sincères salutations.

Pour la CRII-RAD
La directrice
Corinne Castanier.

 

 

Copie à :
Mme Dominique Voynet, ministre de l’Environnement
Mme Dominique Gillot, secrétaire d’État à la Santé
M. Hubert Henrotte, président de l’Agence Sygma
Mme Annie Sugier, présidente du Comité radioécologie Nord Cotentin