13 avril 2000 – Anomalie radiologique sur certaines plages de la petite Camargue

Anomalie radiologique sur certaines plages de la petite CAMARGUE : grâce au concours de spécialistes en minéralogie, la CRIIRAD a identifié la nature et l’origine des minéraux radioactifs.

1. Rappels

La CRIIRAD a rendu public, le 3 avril dernier, le résultat de contrôles radiologiques effectués entre Port-Saint Louis et Palavas-les-Flots. Ces relevés montraient une situation normale sur la majeure partie du littoral (caractérisé par un très faible niveau de radioactivité naturelle), mais une situation tout à fait inattendue sur certaines portions de plages situées à l’est du phare de l’Espiguette (Gard) et aux abords des Saintes Maries-de-la-mer (Bouches-du-Rhône) : dans ces secteurs, le flux de rayonnement émis par le sol est anormalement élevé (jusqu’à 10 fois), ce qui indique des teneurs inhabituelles en éléments radioactifs.
Le problème provient de dépôts de sable très foncé, de forte densité, apporté sur les plages par les courants. Les caractéristiques radiologiques, chimiques et minéralogiques de ces dépôts noirs sont en effet très atypiques, plus proches d’un minerai que d’un sable habituel :

· Les analyses radiologiques réalisées par le laboratoire de la CRIIRAD ont révélé la présence de radionucléides naturels, mais à des niveaux très supérieurs (de 5 à 50 fois) aux niveaux normaux : de l’ordre de 1 600 Bq/kg pour les éléments de la chaîne de l’uranium 238 et de 2 000 Bq/kg pour le thorium 232 alors que l’analyse de sable prélevé au même endroit mais non affecté par les dépôts noirs, présente des activités comprises entre 20 et 50 Bq/kg ;

· Les analyses chimiques réalisées par le laboratoire départemental d’analyse de la Drôme ont révélé des teneurs anormalement élevées en terres rares (cérium, lanthane, gadolinium, néodyme, praséodyme), fer, titane et platine. (1)

 

2. TOUTES LES INVESTIGATIONS CONVERGENT

Deux hypothèses de travail ont été retenues d’emblée par la CRIIRAD pour expliquer ces accumulations de radioactivité naturelle :

– les dépôts proviennent d’une concentration naturelle de minéraux lourds radioactifs dans les sédiments marins du delta du Rhône ;

– les dépôts proviennent de minerais de terres rares importés en France – chargements échoués – auquel cas il s’agirait d’une pollution.

Pour trouver l’origine, les recherches ont été lancées dans plusieurs directions :

a. le laboratoire de la CRII-RAD a procédé à des analyses différenciées, en fonction de la granulométrie et du niveau magnétique des cristaux. Ceci a permis d’établir que la radioactivité est concentrée dans la fraction la plus fine : cristaux dont le diamètre est inférieur à 125 microns (0,125 mm). Il s’agit de cristaux noirs (majoritaires) associés à des cristaux de couleurs claires (incolores, jaunes, roses). Les analyses effectuées sur les fractions les moins magnétiques suggèrent que la radioactivité ne provient pas (du moins pas exclusivement) des minéraux noirs.

b. les recherches documentaires ont permis de recenser les minéraux et minerais susceptibles de correspondre aux caractéristiques révélées par les analyses. Ces recherches ont désigné la monazite, un minerai de terres rares et de thorium, qui répond à tous les critères d’identification : présence de phosphate, de terres rares (avec prédominance du groupe cérique), de thorium et d’uranium généralement associés à du minerai (en l’occurrence de titane et de fer). Par ailleurs, les principaux gisements de monazite ont été découverts dans du sable (placers) : ainsi en Inde (plages de Travencore) et au Brésil (État de Bahia).

c. les analyses minéralogiques (2) ont permis d’identifier les minéraux présents et de conclure que :

1. la radioactivité provient, pour l’essentiel, de la présence de monazite : les cristaux contiennent de 3 à 7% de thorium et, typiquement, de 0,3 à 0,6% d’uranium(% de masse).

2. les cristaux de couleur noire associés à la monazite ne sont pas radioactifs : il s’agit d’oxydes de fer (magnétite, hématite) et d’oxydes ferro-titanés (ilménite).(3)

3. les minéraux identifiés sont caractéristiques de l’érosion des massifs hercyniens français : signature alpine (teneur importante en platine, par exemple) et apports caractéristiques du Massif Central (ou de massifs comme l’Estérel et les Maures) : composition caractéristique des grenats, des zircons et des monazites.

4. la formation des cristaux de monazite (dans des granites ou des roches métamorphiques) remonterait, pour la majeure partie, à 340 millions d’années (4).

d. les informations des spécialistes en sédimentologie : les scientifiques du CEREGE (5) – qui ont étudié spécifiquement le littoral de la petite Camargue – ont mis en évidence des phénomènes très particuliers de sédimentation sur les plages situées entre la pointe de Beauduc et la pointe de l’Espiguette. Les minéraux lourds seraient ramenés par les courants côtiers :
– vers le secteur de l’Espiguette du fait de la présence d’anciens cours du Rhône ;
– vers les plages des Saintes Maries de la mer du fait de la présence du petit Rhône;
Sur les plages, les zones de dépôts sont liées à la force de la houle.

 

3. UN PHÉNOMÈNE ENTIÈREMENT NATUREL

Sur la base de ces résultats convergents, la CRIIRAD est parvenue aux conclusions suivantes :

· Les minéraux lourds, chargés en terres rares et éléments radioactifs, concentrés sur certaines plages, proviennent de l’érosion des massifs hercyniens (Massif central, certains secteurs des Alpes). L’industrie minéralière est donc hors de cause : il ne s’agit pas d’un chargement de minerai importé échoué près des côtes. Une ultime vérification pourra être effectuée à partir du registre des épaves élaboré par le CRASM (6) – vérification aisée car les importations de monazite sont relativement récentes.

· Transportés par le Rhône et ses affluents, ces minéraux se sont progressivement concentrés dans le delta. Le phénomène d’accumulation aurait débuté il y a environ 7 000 ans, avec la formation du delta, au cours de la période post-glaciaire (holocène). La densité élevée de ces minéraux explique leur accumulation dans des zones spécifiques (tri hydraulique des alluvions).

· L’importance des dépôts reste à déterminer. La formation de “placers” (gisements formés dans les alluvions fluviaux ou côtiers) est bien documentée, en particulier pour la monazite et les minéraux ferrifères comme l’ilménite et la magnétite. Seules des prospections sous-marines permettront de localiser et de déterminer l’importance des accumulations. Selon les résultats, on parlera alors de simples dépôts ou de véritables gisements. Il faut savoir que la France ne dispose pas de gisement de monazite sur son territoire et doit importer le minerai qu’elle utilise.

· Les recherches qui restent à engager doivent permettre de déterminer précisément l’origine des apports (localisation dans le delta, par rapport au littoral et aux embouchures du Rhône) et les mécanismes qui ramènent les minéraux vers les plages. Les dépôts sont en effet concentrés en des secteurs bien définis du littoral, en fonction des courants côtiers mais aussi de l’aménagement des plages : il est possible, par exemple, que les épis (digues) construits entre les Barronets et le Rhône vif protègent les plages de ce secteur et canalisent les apports radioactifs sur une zone assez circonscrite, située plus à l’est (secteur du phare de l’Espiguette, sur quelques centaines de mètres).

Ces aspects doivent être étudiés avec précision. Si ces constats sont avérés, l’aménagement des secteurs affectés – la mise en place de nouveaux épis, par exemple – pourrait empêcher que les minéraux radioactifs continuent de s’accumuler. Les secteurs concernés par les concentrations de dépôts radioactifs étant cependant spatialement très délimités, des actions simples de nettoyage des plages pourraient peut-être suffire.

Quoiqu’il en soit, ces nouveaux éléments sont transmis ce jour aux autorités afin qu’elles puissent cibler leurs recherches et définir les moyens à mettre en oeuvre afin d’assurer la parfaite innocuité du domaine public.
Les risques liés à l’incorporation de sable sont relativement limités car les cristaux de monazite sont très difficiles à dissoudre (forte résistance aux agressions chimiques). La principale voie d’exposition concerne donc l’exposition externe (c’est-à-dire l’exposition aux rayonnements émis par le sol aux emplacements où les cristaux radioactifs se concentrent). Ainsi que la CRIIRAD l’avait précédemment souligné ces risques sont associés à des temps de présence prolongés sur les secteurs affectés.

(1) Analyses semi-quantitatives par ICP-MS effectuées par le laboratoire départemental d’analyse de la Drôme que la CRIIRAD remercie pour son aide et sa disponibilité.

(2) Examens visuel au microscope optique, analyses par microsonde électronique et par diffractogramme de rayon X. La CRIIRAD tient à remercier les chercheurs de la maison des géosciences de l’université de Grenoble ainsi que le professeur J.M. Montel, du laboratoire de minéralogie de l’université Paul Sabatier de Toulouse (UMR CNRS 5563), et ses collaborateurs, M. De Parseval et M. Thibault.

(3) ceci doit inciter à la prudence : les concentrations de monazite que nous avons iocalisées étaient associées aux cristaux ferro-titanés ce qui permet de les repérer visuellement mais l’association n’est pas forcément systématique.

(4) La datation a été effectuée par l’équipe du professeur Montel à partir de l’analyse du plomb. Deux âges ont été déterminé : 340 millions d’années (Ma) avec une incertitude de ± 40 Ma pour la majorité des cristaux ; 590 ± 60 Ma pour quelques cristaux.

(5) Centre européen de recherche et d’enseignement de géosciences de l’environnement : Mme Provansal et M. Sabatier. La CRIIRAD remercie également M. Arnaud-Facetta, de l’Université Paris VII.

(6) Centre de recherches archéologiques sous-marines – Marseille.

 

Communiqué du 3/04/2000