Le site de la centrale nucléaire de Zaporijjia a été bombardé le vendredi 5 août, en début d’après-midi, puis à nouveau dans la nuit de samedi à dimanche. Dans un communiqué du 6 août, le directeur général de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) s’est dit « extrêmement préoccupé », alertant sur un « risque très réel d’une catastrophe nucléaire ». À ce jour, toutefois, le pire a été évité et aucun rejet radioactif incontrôlé n’a été signalé.
La centrale nucléaire
La centrale nucléaire de Zaporijjia est implantée en rive droite du Dniepr, dans le centre sud de l’Ukraine, aux abords immédiats de la ville d’Enerhodar (environ 55 000 habitants), à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de la ville de Zaporijjia (cf. plan et vues). Elle comporte 6 réacteurs nu-cléaires de 1 000 MWe (950 MWe net) , construits pour l’essentiel dans les années 1980 et mis en service commercial de 1985 à 1989 (1996 pour le n°6). C’est la centrale nucléaire la plus puissante d’Eu-rope, devant Gravelines (6 réacteurs de 910 MWe net). Elle représente le quart environ de la production d’électricité de l’Ukraine.
L’installation est gérée par ENERGOATOM (l’entreprise publique qui exploite les centrales nucléaires ukrainiennes) et contrôlée par le SNRIU, l’organisme d’inspection de la sûreté nucléaire ukrainienne (State Nuclear Regulatory Inspectorate of Ukraine).
Le site avait déjà été concerné par des tirs dans la nuit du 3 au 4 mars (provoquant au moins 3 morts parmi le personnel de sécurité). Depuis lors, la centrale est contrôlée par les forces militaires russes (tout comme la ville d’Enerhodar). Le personnel de l’entreprise publique Energoatom continue d’exploi-ter la centrale mais des employés de ROSATOM, la société nationale russe pour l’énergie atomique sont venus compléter les effectifs militaires. Depuis fin mars, la rotation du personnel a été autorisée mais la situation reste évidemment très éprouvante, le travail s’effectuant en présence de gardes armés, sous la menace d’arrestation ou pire. Le travail est également compliqué par les difficultés d’approvisionnement en fournitures et pièces de rechange.
La centrale nucléaire étant située à proximité de la ligne de front, elle est particulièrement exposée, même en l’absence de tirs délibérés sur le site. La perte de ressources électriques permettant de faire fonctionner les pompes ou l’endommagement du système de prélèvement d’eau dans le Dniepr peut à tout moment conduire à une situation catastrophique du fait de la perte des fonctions de refroidissement, essentielle à la fois pour les réacteurs et pour les piscines de stockage du combustible irradié.
Début août, à la veille des bombardements, 3 des 6 réacteurs nucléaires étaient en service.
Bombardements du 5 août
Selon ENERGOATOM, les troupes russes auraient bombardé le site à 3 reprises aux environ de 14 h30 (13h30 en France). Les autorités russes ont pour leur part démenti les accusations des autorités ukrainiennes.
D’après les informations ukrainiennes relayées par l’AIEA, il n’y a pas eu de fuite radioactive et les réacteurs eux-mêmes n’ont pas été endommagés. Cependant, le dispositif de protection d’urgence de l’un des réacteurs s’est déclenché et il a dû être déconnecté du réseau. L’une des lignes à haute tension a été endommagée mais la centrale n’a pas été privée d’électricité externe, deux lignes électriques restant opérationnelles. Divers équipements ont été endommagés, notamment une station d’alimentation en azote-oxygène (dont l’incendie a rapidement été maîtrisé) et un bâtiment auxiliaire.
L’AIEA indique qu’elle a également reçu des informations sur des tirs d’obus à proximité du parc d’entreposage du combustible nucléaire irradié, une zone étendue, à l’est des réacteurs, où s’alignent 174 « châteaux » accueillant chacun 24 assemblages de combustible usé. Une fois déchargés des réacteurs nucléaires, après une période de désactivation en piscine, les assemblages de combustibles irradiés sont en effet entreposés sur le site même de la centrale de Zaporijjia. Ainsi que l’on peut le voir sur les vue aériennes (cf. page 3) il s’agit d’un entreposage en surface, particulièrement vulnérable.
Les déclarations de l’AIEA
Dans un communiqué en date du 6 août, en réaction à la première série de bombardement, Rafael Mariano GROSSI, le directeur général de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) a alerté : « Toute puissance de feu militaire dirigée vers ou depuis l’installation reviendrait à jouer avec le feu, avec des conséquences potentiellement catastrophiques. »
Il a souligné que 5 des 7 piliers indispensables à la sûreté de l’installation avaient été compromis : 1/ l’intégrité physique des installations, 2/ la disponibilité de tous les équipements de sûreté et de sécurité, 3/ la sérénité du personnel d’exploitation (la centrale est occupée depuis le 4 mars), 4/ l’alimentation électrique, 5/ la capacité à faire face à une situation d’urgence.
La situation grave provoquée par les bombardements du 6 août est, selon lui, « la dernière d’une longue série de rapports de plus en plus alarmants émanant de toutes parts ». Il insiste sur l’importance d’une mission d’inspection : « Afin d’éviter que la situation ne devienne encore plus incontrôlable, la présence de l’AIEA pour fournir un soutien technique à la sûreté et à la sécurité nucléaires est d’une importance capitale. ». Mais cette demande, réitérée en vain depuis 4 mois, montre l’impuissance de l’AIEA.
Bombardements de la nuit du 6 au 7 août
Alors que le directeur de l’AIEA venait de déclarer qu’une « action militaire mettant en péril la sûreté et la sécurité de la centrale » était « totalement inacceptable » et devait « être évitée à tout prix. », de nouvelles frappes ont été signalées dans la nuit de samedi à dimanche.
Selon ENERGOATOM (cf. messagerie Telegram), les forces russes auraient à nouveau tiré sur le site nucléaire de Zaporijjia et sur la ville d’Enerhodar. Des roquettes seraient tombées à proximité de l’installation d’entreposage à sec du combustible irradié et auraient endommagé des bâtiments administratifs et blessé l’un des employés qui a dû être hospitalisé. Toujours d’après Energoatom, les militaires russes et le personnel de ROSATOM s’étaient réfugiés à l’avance dans les bunkers du centre de crise et du centre de soutien technique de la centrale.
Les responsables russes ont pour leur part démenti ces accusations et affirmé que c’était l’armée ukrainienne qui était responsable des frappes.
Trois des capteurs du système de surveillance des niveaux de radiations sur le site et ses abords auraient également été endommagés. Aucune source d’information ne fait état de rejets radioactifs incontrôlés mais nous ignorons si le personnel de la centrale a encore accès aux données des autres capteurs (le dispositif de surveillance est constitué de 38 capteurs situés dans le périmètre de la centrale et à proximité).
Il faut s’en remettre aux informations transmises par le personnel car, depuis plusieurs mois, le site internet de la centrale nucléaire de Zaporijjia n’est plus accessible (les dernières données complètes remontent au 28 février). À défaut, le service d’astreinte des balises consulte, via la plateforme Saveecobot, les données des réseaux de surveillance toujours accessibles en Ukraine. Aucune anomalie radiologique n’a été détectée. En particulier, les capteurs de la région de Zaporijjia donnaient des débits de dose gamma normaux le dimanche 7 août et le lundi 8 août au matin (à Enerhodar, capteur le plus proche de la centrale : 0,09 µSv/h le 08/08 à 9h00).
Jusqu’à présent, la situation radiologique semble donc normale. La violation des dispositifs de sûreté et de sécurité n’a pas conduit au déclenchement d’une séquence accidentelle mais il est clair que les marges de sécurité se sont très fortement réduites et que certaines installations sont à la merci d’un simple tir de missile, qu’il résulte d’une erreur humaine, d’une défaillance mécanique ou d’une action délibérée.