1 / Contexte
Les études conduites par le laboratoire de la CRIIRAD depuis le début des années 90 sur plusieurs anciens sites miniers uranifères, en particulier en Haute-Vienne et Loire Atlantique, puis dans le Cantal, l’Hérault, la Loire, l’Allier, le Puy-de-Dôme, etc… ont démontré la persistance de contaminations radiologiques significatives en termes de doses. Les points les plus marquants sont le plus souvent l’abandon ou la dispersion de matériaux radioactifs solides (stériles, minerais, résidus d’extraction de l’uranium) et la contamination radiologique des cours d’eau.
Le département de la Corrèze comporte 16 sites miniers uranifères desquels 1 417 tonnes d’uranium ont été extraites entre 1957 et 1994. La majeure partie de la production provient de la Xaintrie, plateau granitique situé au sud-est du département, et en particulier des mines de la Besse (1 046 tonnes) et du Jaladis (115 tonnes). Début juillet 2011, M. Yonnel QUEVENNE, président de l’ADEX, a détecté au moyen d’un radiamètre RADEX RD1503 fourni par la CRIIRAD la présence de pierres présentant un flux de rayonnement gamma nettement supérieur au bruit de fond au niveau de la digue du plan d’eau communal des Chanaux à Saint-Privat (Corrèze).
Ce plan d’eau, dont l’arrêté d’autorisation de création date du 14 mars 1990, est situé à 4 km au sud-ouest de l’ancienne mine de la Besse, exploitée entre 1960 et 1994. Plusieurs témoignages recueillis par l’ADEX indiquent que les blocs de la digue du plan d’eau proviennent du secteur de la mine de la Besse. Avant la découverte faite par l’ADEX, la zone du plan d’eau avait été survolée lors du recensement héliporté
réalisé par AREVA mais aucune anomalie n’avait été détectée. Ce recensement avait pour objet de repérer les zones de réutilisation de stériles radioactifs.
M. QUEVENNE a aussitôt informé de sa découverte les autorités locales (mairie de Saint-Privat, préfecture de Corrèze, DREAL, ARS). Début août 2011, AREVA a procédé à l’enlèvement de plusieurs blocs situés dans la partie émergée de la digue. Fin 2012, le plan d’eau de Saint-Privat a été vidé. L’ADEX a demandé au laboratoire de la CRIIRAD d’effectuer des relevés radiamétriques préliminaires sur la partie habituellement émergée, au niveau de laquelle des blocs avaient été enlevés par AREVA en août 2011, ainsi que sur la partie habituellement immergée. Cette intervention a été effectuée gracieusement, sur fonds propres de l’association CRIIRAD dont le conseil d’administration a confirmé par délibération en date du 21 septembre 2012 l’importance attachée à la question de l’impact des anciennes mines d’uranium.
Les résultats des relevés effectués par la CRIIRAD fin janvier 2013 sont présentés dans cette note préliminaire rédigée en urgence dans la mesure où l’ADEX a indiqué à la CRIIRAD, le 14 février 2013, qu’AREVA envisageait d’intervenir le mardi 19 février 2013, mais sans reprendre les enrochements radioactifs de la partie émergée et en ne reprenant qu’une partie des enrochements radioactifs de la partie
immergée.
En effet, monsieur Andres, d’AREVA indique dans un courriel du 14 février envoyé à M Quevenne que l’objectif évoqué avec le représentant de l’ASN
« correspond à celui atteint à l’issue des travaux d’assainisement réalisés sur la partie émergée de la digue de l’étang. En effet le contrôle réalisé par ALGADE le 27 février 2012 (plan compteur maille 2*2m avec mesures à 1m du sol) donne un flux de photons moyen d’environ 150 c/s (environ 0,2µSv/h) avec aucune valeur ne dépassant 320 c/s. Si l’on prend pour référence le mileu naturel à 0,1 µSvh, l’exposition moyenne ajoutée à ce bruit de fond naturel pour une durée de séjour de 800 h/an (scénario générique pour une zone de loisir) est de l’ordre de 0,1 mSv/an: (0,2 µSv/h – 0,1µSv/h)* 800h = 80 µSv/an soit de l’ordre de la valeur avancée de 0,1 mSv/an
Cet objectif est celui visé pour la partie immergée de la digue.
Vous noterez que cette exposition moyenne est très inférieure à la valeur réglementaire de 1mSv/an et inférieur aux objectifs gradués proposés par AREVA dans le cadre de la gestion des stériles miniers (0,3 -0,6 mSv/an).
C’est pour cette raison qu’il est n’est pas envisageable pour AREVA d’aller au delà de cet objectif avec
d’autres actions complémentaires »
2 / Description du plan d’eau
Le plan d’eau est situé à proximité d’un lotissement ainsi que d’un camping et d’une aire de jeux pour les enfants. Il est accessible au public : un chemin, passant notamment sur le sommet de la digue, permet d’en faire le tour. La digue du plan d’eau est constituée d’enrochements de dimensions hétérogènes, métrique pour les plus importants, centimétrique pour les plus réduits qui peuvent être ramassés sans difficulté par le public. La solidité des blocs est variable, certains étant friables.
D’après l’arrêté d’autorisation, les dimensions de la digue sont les suivantes : 4,5 m de hauteur maximum, 5 m de largeur en crête, pente amont 1/2,5, pente aval 1/3, 90 m linéaires de longueur.
Les enrochements sont visibles côté amont. Le côté aval de la digue est recouvert de pelouse. La principale partie des enrochements est habituellement immergée. La partie habituellement émergée est partiellement recouverte de végétation.
3 / Résultats des mesures radiamétriques CRIIRAD de janvier 2013
L’intervention sur site a été effectuée par M. Christian COURBON, technicien spécialisé du laboratoire de la CRIIRAD, les 29 et 30 janvier 2013. Dans un premier temps, le secteur comportant des enrochements (partie habituellement immergée et partie habituellement émergée) a fait l’objet d’un balayage radiamétrique aléatoire quasiment au contact des matériaux, au moyen d’un scintillomètre DG5 porté à bout de bras. Ce balayage non exhaustif a permis de détecter plusieurs points présentant un flux de rayonnement gamma au contact supérieur à 1 000 chocs par seconde (c/s) DG5 :
- deux points ont été localisés au niveau de la partie habituellement émergée, qui a pourtant fait l’objet d’un enlèvement des blocs les plus irradiants par AREVA en août 2011 ;
- plus d’une dizaine de points ont été repérés dans la partie habituellement immergée.
Les deux points de la partie immergée et deux des points de la partie émergée ont fait l’objet de relevés plus précis (mesures de flux de rayonnement gamma au moyen d’un scintillomètre SPP2 et mesures de débit de dose au moyen d’un compteur proportionnel compensé en énergie LB123 D, au contact et à une distance de 0,5 m et/ou 1 m). Ces points sont notés C1 à C4 sur le schéma ci-dessous. Ces relevés ont été comparés à une mesure de bruit de fond effectuée de l’autre côté de l’étang par rapport à la digue, au pied d’un chêne ancien. Au retour de la mesure du bruit de fond, le technicien CRIIRAD a repéré deux blocs, destinés à empêcher le passage de véhicules sur le chemin d’accès à l’aire de jeux, dont l’aspect semblait similaire aux blocs de l’enrochement de la digue. L’un de ces deux blocs, qui comporte un trou de forage, a également fait l’objet de relevés (point C5).
Dans la partie habituellement émergée, le point le plus irradiant (C3) présente un débit de dose près de 200 fois supérieur au bruit de fond au contact, et 6 fois supérieur au bruit de fond à 50 cm de hauteur. Dans la partie habituellement immergée, le point le plus irradiant (C1) présente un débit de dose plus de 300 fois supérieur au bruit de fond au contact, et 30 fois supérieur au bruit de fond à 50 cm de hauteur.
Sur le chemin d’accès à l’aire de jeux, le plus irradiant des deux blocs destinés à empêcher le passage de véhicules sur le chemin d’accès à l’aire de jeux indiquent un débit de dose 50 fois supérieur au bruit de fond (point C5).
Selon le témoignage d’une habitante rencontrée lors de l’intervention, les jeunes du secteur se retrouvent fréquemment au niveau de ce bloc et de son voisin (dont le flux de rayonnement gamma est comparable au bruit de fond), sur lesquels ils s’assoient.
3 / Commentaires
Les mesures réalisées par le laboratoire de la CRIIRAD les 29 et 30 janvier 2013 montrent que la digue du plan d’eau de Saint Privat comporte des anomalies radiamétriques en surface, plus nombreuses dans la partie habituellement immergée, mais également présentes dans la partie habituellement émergée malgré la récupération de blocs effectuée par AREVA en août 2011. Par ailleurs, le technicien CRIIRAD a repéré un bloc radioactif sur le chemin d’accès à l’aire de jeux proche du plan d’eau. Ces anomalies n’avaient pas été repérées lors du recensement héliporté effectué par AREVA sur le secteur. Ces blocs sont susceptibles d’induire une exposition non négligeable du public : au risque lié à l’irradiation externe des blocs en place, il convient d’ajouter les éventuelles expositions potentielles liées à l’inhalation ou à l’ingestion de fragments de blocs friables, à l’inhalation de radon, à la contamination de l’eau, … La présence d’anomalies radiamétriques dans la partie habituellement émergée pose question quant à la méthodologie mise en œuvre pour traiter le site lors de l’intervention d’AREVA en août 2011, et la méthodologie mise en œuvre par les organismes chargés de vérifier la qualité des travaux.
La présence de nombreuses anomalies radiamétriques en surface de la partie habituellement immergée, et le caractère relativement friable de certains blocs, laissent supposer que l’enlèvement des seuls blocs les plus irradiants en surface ne permettra pas de garantir l’absence d’impact radiologique du site dans le futur. En outre, il est possible que d’autres blocs radioactifs soient disséminés dans le secteur, comme le montre le bloc repéré par le technicien CRIIRAD sur le chemin d’accès à l’aire de jeux.
Par conséquent, la CRIIRAD recommande :
- que l’ensemble de l’enrochement de la digue soit récupéré par AREVA et remplacé par des blocs ne comportant pas d’anomalies radiamétriques. La CRIIRAD plaide depuis des années pour que les stériles radioactifs soient totalement repris et entreposés sur des sites adaptés. Le responsable du laboratoire de la CRIIRAD, M Chareyron, a défendu une fois de plus cette position lors d’une réunion de travail avec les représentants de l’ASN à Lyon le 12 février 2013. Monsieur Jean-Luc Lachaume, directeur général adjoint de l’ASN, a indiqué que l’ASN allait préciser prochainement par écrit sa position sur les critères d’assainissement à savoir qu’il n’y aurait pas de limite de dose spécifique mais que le souhait de l’ASN était que l’assainissement soit effectué de telle sorte qu’il n’y ait pas à y revenir.
- dans le cas où, malgré tout, les autorités ne demanderaient pas l’enlèvement de l’ensemble de l’enrochement :
- qu’une évaluation de l’impact du site soit réalisée par un organisme indépendant de l’exploitant.
Cette évaluation devra prendre en compte l’ensemble des voies d’exposition ; - que des mesures de conservation de la mémoire à long terme du site soient prises. En particulier, un dispositif de surveillance du site devrait être mis en place ;
- qu’une évaluation de l’impact du site soit réalisée par un organisme indépendant de l’exploitant.
- que soit également récupéré le bloc comportant un trou de forage situé sur le chemin d’accès à l’aire de jeux,
- qu’un recensement par relevés radiamétriques au sol le plus exhaustif possible soit effectué dans les environs du plan d’eau, et plus généralement dans toutes les communes proches des mines d’uranium de Xaintrie, afin de repérer les anomalies radiamétriques qui n’ont pas été détectées dans le cadre de la campagne héliportée.