À Colmar, le 10 avril 2024, en fin d’après-midi, suite à un incident avec une source radioactive d’iridium-192 utilisée sur le site de l’entreprise ADF pour des opérations de gammagraphie, un périmètre de sécurité a dû être mis en place.
Ce type de source de forte activité émet en effet de puissantes radiations gamma capables de traverser le métal et les murs et de se déplacer dans l’air sur des dizaines de mètres.
Principe de fonctionnement
Hors utilisation, la source radioactive d’un gammagraphe est insérée dans un coffret blindé appelé projecteur constitué d’un matériau de très forte densité capable d’arrêter fortement les radiations.
Au moment du tir gamma, l’opérateur s’éloigne et utilise une commande à distance pour transférer la source radioactive, via une gaine d’éjection, jusqu’à la zone où doit avoir lieu la radiographie. Un collimateur a été en général prépositionné sur la zone à contrôler.
Sur ces images qui portent sur le contrôle de la qualité de soudures de tuyauteries d’un réseau de chauffage urbain, en 2020, on voit un technicien installer la source de gammagraphie et le collimateur qui sera positionné en face de la soudure à contrôler.
Une couverture plombée est ensuite posée au-dessus du collimateur pour diminuer le niveau de radiation diffusé au moment du tir. Le technicien s’éloigne ensuite pour déclencher à distance le transfert de la source entre le coffret blindé et le collimateur.
Comme le montrent les mesures du taux de radiation ambiant effectuées par la CRIIRAD, à douze mètres du lieu du tir, le niveau de radiation est multiplié par plus de 700, lorsque la source se déplace dans la gaine d’éjection. Il passe de 0,11 microSieverts par heure (niveau naturel) à 85 microSieverts par heure. Cette forte hausse intervient pendant 1 à 2 secondes lors de l’éjection de la source et lors de son retour. Dans cet exemple, si la source restait bloquée, une personne située à 12 mètres recevrait une dose de radiation non négligeable en moins de 10 minutes et dépasserait la limite sanitaire annuelle en douze heures de présence.
À Colmar, la source est encore bloquée
Dans le cas de l’incident de Colmar, la source est restée bloquée hors de son boîtier de protection induisant un niveau de radiation continu très élevé aux alentours.
Ceci a justifié la mise en œuvre, pendant plus de 24 heures, d’un périmètre d’évacuation de 130 mètres autour de la source. Une cinquantaine de personnes ont été évacuées au niveau du site industriel ADF et des entreprises et habitations voisines. L’ASN a précisé à la CRIIRAD que le périmètre a été défini pour “assurer un débit de dose de 2,5 µSv/h à sa limite”.
Une telle valeur est environ 25 fois supérieure au niveau naturel et entraine une exposition non négligeable en quelques heures.
La préfecture du Haut-Rhin a précisé que “d’importants moyens humains et matériels, notamment un robot spécialisé de la sécurité civile et des tapis de plomb ont été nécessaires” pour faire “revenir le seuil de radioactivité à des normes conformes”.
Douze jours après l’incident, l’ASN a indiqué à la CRIIRAD que la source est “encore sur place (sous les protections biologiques). Un protocole d’intervention a été proposé en fin de semaine dernière par le fournisseur de l’appareil (Cegelec Actemium) et validé par les services centraux de l’ASN, l’intervention est planifiée dans la semaine”.
Une opération délicate
La récupération de ce type de source de forte radioactivité est une opération très délicate.
En 2010, sur le site de la fonderie Feurs métal, dans la Loire, une source de 1,25 TBq de cobalt 60 est restée bloquée. La tentative de récupération, par le service intervention de l’IRSN, au moyen d’un dispositif de cisaillage robotisé, avait entraîné la contamination de 6 personnes et de 3 000 m2 de bâtiments. Quatorze ans plus tard, l’assainissement du site de Feurs n’est pas terminé.
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Rédaction : B. Chareyron, conseiller scientifique, le 23/04/2024 à 12h
Mise à jour du 29 avril à 14h :
Selon l’ASN, l’intervention planifiée par l’entreprise Actémium mercredi 24/04/24 a débuté vers 18h et s’est terminée vers 18h30. Actémium a informé l’ASN que son intervention avait été menée à bien et que la source avait été réintroduite dans le gammagraphe en toute sécurité.
Mise à jour du 24 avril à 9h :
En fin d’après-midi du mardi 23 avril, entre 16H45 et 17H45, Danièle Cour, administratrice de la CRIIRAD, a effectué des mesures ponctuelles de débit de dose gamma au moyen d’un compteur Geiger (modèle Radex 1212).
Le bruit de fond à grande distance du site ADF est de l’ordre de 0,12 µSv/h, ce qui correspond à une valeur classique pour la radioactivité naturelle.
Sur les 8 points de mesure effectués en statique, le long des clôtures accessibles, au plus près du site ADF : à l’ouest (rue Branly), au nord (rue Unter Theinheimer Weg), à l’est et au sud-ouest , les valeurs obtenues sont du même ordre de grandeur que le bruit de fond naturel : 0,10 à 0,17 µSv/h.
Pour précision, il ne s’agit pas ici d’une cartographie complète, compte tenu du faible nombre de points de mesure et de la distance élevée entre certains des points (plus de 60 mètres) et les façades des bâtiments de la chaudronnerie.
En savoir plus :
Incident Colmar d’avril 2024 :
- https://www.asn.fr/l-asn-informe/actualites/blocage-de-source-radioactive-au-cours-d-un-chantier-de-gammagraphie-colmar-68
- https://www.haut-rhin.gouv.fr/Actualites/Espace-presse/Communiques-de-presse-2024/Fin-des-operations-liees-aux-emissions-radiologiques-dans-une-entreprise-a-Colmar
Incident Feurs métal de mai 2010 :
- voir pages 16 à 18 du fichier PDF : https://www.criirad.org/wp-content/uploads/2023/03/Dossier-IRSN-Extrait-Trait-d-Union-89-fevrier-2021.pdf
Lexique :
- Gammagraphie :
La gammagraphie est une technique spécifique de radiographie qui utilise des rayonnements gamma émis par une source radioactive scellée de forte activité.
Elle est utilisée pour contrôler la qualité de soudures ou les caractéristiques internes de pièces métalliques (détection de défauts au cœur de la matière).
Les rayonnements gamma sont des ondes électromagnétiques émises par la désintégration d’atomes radioactifs. Leur énergie peut être des dizaines de fois supérieure à celle des rayons X utilisés en imagerie médicale.
- Source radioactive :
Dans le cas des appareils de gammagraphie mobile, les rayonnements gamma sont émis par une substance radioactive appelée source radioactive.
Il s’agit le plus souvent de métaux radioactifs comme l’iridium 192 ou le cobalt 60, fabriqués artificiellement.
L’activité de ces sources dépasse couramment des centaines de milliards de becquerels voire mille milliards de becquerels (1 Terabecquerel ou TBq).
Avec une source de 1 Terabecquerel d’iridium 192, à chaque seconde, mille milliards d’atomes se désintègrent. Ce phénomène s’accompagne de l’émission de plus de 950 milliards de rayonnements bêta, 830 milliards de rayonnements gamma d’énergie 316 keV ; 477 milliards de rayonnements gamma d’énergie 468 keV, etc.. La substance créée par cette désintégration, le platine 192 est stable.
A titre de comparaison l’énergie des rayons lumineux visibles émis par le soleil est de quelques eV (électron volt). Un keV (kilo électron volt) correspond à 1 000 eV.
La demi-vie de l’iridium 192 est de 73,8 jours ; c’est le temps nécessaire pour que la radioactivité de la source soit divisée par 2.