15/05/2024 – Annexe au communiqué “Démarrage de l’EPR de Flamanville : le pari à haut risque de l’autorisation”

Les défauts sur le plenum inférieur de la cuve

Suite aux incidents de 2021 sur le premier EPR en fonctionnement dans le monde (EPR N°1 de la centrale de Taishan en Chine), la CRIIRAD avait révélé que l’endommagement inédit des assemblages de combustible nucléaire était dû à un défaut de conception de la cuve de l’EPR (plenum inférieur) à l’origine de vibrations non maîtrisées et que cela concernait aussi l’EPR en construction à Flamanville.

Il a fallu des mois avant qu’EDF et l’ASN ne reconnaissent ce nouveau défaut de conception.

Mais comme pour les défauts affectant le couvercle de la cuve (voir ci-dessous), l’EPR de Flamanville est autorisé à démarrer sans que le problème ne soit résolu.

Dans son rapport d’instruction de la demande de mise en service de l’EPR, l’ASN note en effet page 63 : “L’ASN a demandé à EDF, à terme, de mettre en place une solution pérenne de résorption des fluctuations qui concourent aux endommagements [154] [157].”

Dans sa décision d’autorisation de démarrage, l’ASN demande simplement à EDF de lui transmettre avant le 31 décembre 2026, “un rapport présentant la conception détaillée ainsi que le calendrier d’installation d’un dispositif permettant de limiter les fluctuations de débit en entrée du cœur du réacteur”.

Aucune mention n’est faite des difficultés et des conséquences radiologiques pour les travailleurs qui devront mettre en place ce “dispositif” dans une cuve irradiée et activée.

Coupe de la cuve d’un EPR © EDF

Quant aux modifications de “dernière minute”, acceptées par l’ASN pour qu’EDF puisse démarrer l’EPR malgré les vibrations mécaniques et les fluctuations neutroniques intempestives liées aux défauts sur l’hydraulique, on relèvera par exemple dans le rapport d’instruction du “gendarme du nucléaire” :

  • la complexité de gestion des plans de chargement et rechargement en combustible,
  • les incertitudes sur les conséquences des vibrations dans la démonstration de sûreté “sous réserve de vérifier expérimentalement certaines hypothèses”
  • ou encore les incertitudes sur la fabrication d’assemblages de combustible plus résistants aux vibrations pour le second cycle de fonctionnement : “Pour le deuxième cycle de fonctionnement, EDF approvisionnera entre 64 et 80 assemblages de combustible neufs comportant de nouvelles évolutions visant à rigidifier la structure de l’assemblage et réduire l’amplitude de ses oscillations ainsi qu’à limiter les risques de pertes d’étanchéité des crayons et l’usure des bouchons inférieurs. Ces évolutions nécessitent la mise en œuvre de procédés de fabrication en cours de qualification. Elles sont susceptibles de modifier la distribution hydraulique et l’absorption neutronique au niveau des assemblages. Leurs impacts éventuels sur les études de sûreté devront être évalués avant l’introduction de ces assemblages en cœur”.

Les défauts sur le couvercle de la cuve

Acier non conforme

L’ASN note dans son rapport d’instruction (pages 22 et 23) :

“Framatome a mis en évidence fin 2014 une anomalie de la composition chimique de l’acier du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville, pouvant réduire sa capacité à résister à la propagation d’une fissure.”

“[…] l’ASN a autorisé, par décision du 9 octobre 2018 [34], la mise en service et l’utilisation de la cuve du réacteur EPR de Flamanville, sous réserve de la réalisation d’un programme d’essais de suivi du vieillissement thermique et de contrôles spécifiques lors de l’exploitation de l’installation. La faisabilité de ces derniers contrôles n’étant pas acquise pour le couvercle en l’état actuel des connaissances, l’ASN a limité à fin 2024 l’utilisation du couvercle, la mise en service du réacteur étant alors prévue en 2019.

Des aléas ont conduit EDF à décaler la mise en service du réacteur EPR de Flamanville à 2024 et la livraison du couvercle de remplacement en octobre 2024. Ainsi, fin 2022, Framatome a transmis à l’ASN une demande de report de la date limite d’utilisation du couvercle actuel, afin que le réacteur puisse fonctionner durant un cycle complet avant de procéder au remplacement prescrit dans la décision de l’ASN. À l’issue de l’instruction de cette demande incluant une consultation du public, le report de remplacement du couvercle à l’issue du premier cycle de fonctionnement a été autorisé par décision du 16 mai 2023 [43].”

En clair, l’ASN autorise le démarrage de l’EPR de Flamanville avec un couvercle non conforme, alors qu’en attendant quelques mois, il était possible de changer le couvercle.

Défaut de soudure sur les 105 adaptateurs

Rappelons qu’outre la mauvaise composition chimique de l’acier, ce couvercle comportait des défauts au niveau de certaines soudures d’adaptateurs (détectés à l’automne 2010). Lors des opérations de remise en conformité en 2011, le fabricant Framatome (alors AREVA-NP) s’est aperçu que la réparation n’était pas conforme (épaisseur insuffisante de la couche de métal) et a dû1 “reprendre complètement plusieurs étapes de la fabrication du couvercle (élimination des soudures et des beurrages, puis exécution de nouvelles soudures). La totalité des 105 adaptateurs ont été concernés”.

Pose du couvercle de la cuve de l’EPR – Source Video EDF Janvier 2018

Le couvercle va devenir un déchet radioactif

Lorsque le couvercle devra être changé à l’issue du premier cycle de fonctionnement de l’EPR, soit après 15 à 18 mois, il sera devenu radioactif du fait, en particulier, de l’activation neutronique.
L’ASN en est pleinement consciente puisque, dans son rapport d’instruction, elle écrit au chapitre 5.4.3 “Déchets (radioactifs ou non)” : “En termes de production de déchets, l’exploitation du réacteur EPR présente toutefois une spécificité qui est liée à une opération de maintenance exceptionnelle qui sera réalisée après la mise en service de ce réacteur : le remplacement du couvercle de cuve. Ainsi, le couvercle qui aura été retiré sera considéré comme un déchet radioactif, qui, en attente d’une filière de traitement appropriée, sera entreposé sur le site dans un bâtiment dédié dont les dispositions constructives répondront notamment aux exigences de radioprotection vis-à-vis des travailleurs et de l’environnement”.

Le démarrage à marche forcée de l’EPR nécessite donc de construire un bâtiment spécial destiné à recevoir le futur couvercle radioactif. Rappelons que l’EPR avait été “vendu” comme permettant une moindre production de déchets radioactifs par quantité d’électricité fournie.

L’exposition des travailleurs

Dans sa décision du 16 mai 2023 autorisant EDF à ne remplacer le couvercle qu’après un cycle de fonctionnement, et non plus avant le 31 décembre 2024, l’ASN précise :
“Le remplacement du couvercle après la mise en service du réacteur, permis par la décision du 9 octobre 2018 susvisée, conduit à un supplément de dose collective estimé à 200 H.mSv, et à ce que le couvercle actuel devienne un déchet radioactif. Ce supplément de dose est du même ordre de grandeur que celui d’autres opérations de remplacement d’équipements du circuit primaire principal. Le couvercle constituera un déchet radioactif de catégorie «faible et moyenne activité à vie courte», pour lequel il existe une filière de stockage.
La suppression d’un arrêt en cours du premier cycle dédié au remplacement du couvercle permettra de prévenir une possible interruption des essais de démarrage du réacteur, d’éviter la réalisation d’opérations sensibles de mise à l’arrêt et de redémarrage du réacteur et de réduire l’exposition collective liée à des opérations supplémentaires, qui constituent des éléments favorables en termes de sûreté nucléaire et de radioprotection.
Le report sollicité par le fabricant Framatome conduira à une durée d’utilisation du couvercle de l’ordre de 18 mois, soit une durée inférieure à celle qui était envisagée lorsque l’ASN a pris sa décision du 9 octobre 2018 susvisée, qui, compte tenu de la date alors envisagée pour le démarrage du réacteur, était d’environ quatre ans.”

Rappelons que l’exposition aux rayonnements ionisants a des conséquences sanitaires, même à faible dose, comme l’a encore montré l’actualisation de l’étude Inworks qui porte sur l’augmentation des risques de cancer pour les travailleurs du nucléaire.

Les travailleurs qui vont subir les 200 H.mSv auraient pu subir une dose nulle si l’ASN avait simplement imposé à EDF de changer le couvercle avant le démarrage (ces 200 H.mSv vont être répartis sur plusieurs travailleurs : on parle de dose collective, ainsi il est possible que la dose soit répartie sur 10 travailleurs qui subiront chacun 20 milliSieverts ou sur 20 travailleurs qui seront soumis à 10 milliSieverts, etc.).

De même que les travailleurs qui ont dû faire les contrôles par radiographie des dizaines et des dizaines de soudures qu’il a fallu refaire (en usine sur des constituants de l’EPR ou directement sur le chantier), auraient reçu une dose nulle si le travail avait été fait correctement en amont.

Sans parler des travailleurs qui ont été exposés aux radiations pour extraire, purifier, convertir, enrichir l’uranium, puis fabriquer les pastilles et crayons des 64 assemblages qu’EDF a dû faire refaire pour tenir compte des défauts de tenue des ressorts de maintien, des vibrations liées à la mauvaise hydraulique dans la cuve, et des défauts sur l’alliage M5 des gaines des crayons, etc.

La consultation du public… qui ne sert à rien

Les autorités et EDF ne cessent d’invoquer la transparence et le fait que les décisions sont prises après avoir consulté le public. De nombreuses associations et collectifs dénoncent ces pseudo-consultations, la CRIIRAD l’a encore fait en début d’année 2024.

Sur la question spécifique des modalités de remplacement du couvercle, la non prise en compte des critiques du public est criante.

Dans son rapport d’instruction sur l’autorisation de mise en service de l’EPR, l’ASN consacre un chapitre à la synthèse des consultations du public. On peut y lire que, parmi les points soulevés lors des dernières consultations se trouvent “Des commentaires [qui] concernent l’échéance définie pour le remplacement du couvercle de la cuve, la production de déchets activés au cours des opérations de remplacement et les conséquences sur les travailleurs en termes d’exposition aux rayonnements ionisants ». L’ASN balaie ces remarques en se contentant de renvoyer à la courte note de synthèse qu’elle avait rédigée suite à la consultation de 2023 sur le couvercle, et qui se terminait par : « Ces contributions n’ont pas entraîné de modification du projet de décision mis à la consultation”.


Rédaction : Bruno CHAREYRON, ingénieur en physique nucléaire, conseiller scientifique à la CRIIRAD – bruno.chareyron@criirad.org


Ressources complémentaires :


  1. Rapport d’Instruction ASN, paragraphe 5.1.3.2 ↩︎