Dans son rapport daté du 9 mars 2021, l’UNSCEAR (Comité Scientifique des Nations Unies sur l’effet des Radiations Atomiques) stipule à propos de la catastrophe de Fukushima : « Le Comité estime que, sur la base des données disponibles, la forte augmentation (par rapport à celle attendue) du nombre de cancers de la thyroïde détectés chez les enfants exposés, n’est pas le résultat d’une exposition aux rayonnements ». L’UNSCEAR impute l’augmentation à un « effet de dépistage » ou de « surdiagnostic ».
L’équipe scientifique de la CRIIRAD n’a pas encore pu analyser ce document dans le détail, mais elle s’élève contre cette conclusion catégorique, et peu scientifique, qui exclut toute contribution possible des rejets radioactifs de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi.
L’impact du dépistage est indéniable, mais les données disponibles ne permettent pas d’exclure les effets de l’iode radioactif, bien au contraire. La CRIIRAD invite le public à prendre connaissance des travaux de scientifiques indépendants qui aboutissent à des conclusions opposées à celles de l’UNSCEAR.
Depuis 2011, l’Université Médicale de Fukushima a été chargée d’une étude sur les cancers de la thyroïde parmi une population de 380.000 enfants du département de Fukushima. Ils sont examinés tous les deux ans jusqu’à l’âge de 20 ans, puis tous les 5 ans. Une première campagne a démarré en octobre 2011. Actuellement la cinquième campagne est en cours.
Dr Hisako Sakiyama : le dépistage et le surdiagnostic ne peuvent plus avoir d’impact majeur
Lors de notre webinaire « Fukushima 10 ans : Quelles réalités ? » du 6 mars 2021, Mme Hisako Sakiyama, Docteure en Médecine, Ph.D et Présidente du Fonds 3.11 pour les Enfants Victimes de Cancers de la Thyroïde, démontrait que les cancers observés chez les enfants, avec une incidence plusieurs dizaines de fois supérieure à la normale (l’incidence normale étant de 1 à 2 sujets pour un million et par an), ne peuvent précisément plus être justifiés par un effet de dépistage.
Ses conclusions sont basées sur les chiffres officiels produits par l’Université Médicale de Fukushima. Lors de la première campagne de dépistage d’octobre 2011 à mars 2013 sur environ 300.000 sujets, il est probable que cet effet ait existé, puisqu’on ne connaissait pas l’état de la population auparavant. Mais sur environ 270 000 enfants soumis à un examen de la thyroïde lors de la seconde campagne de dépistage (avril 2014 à juin 2015), 71 cas additionnels ont été diagnostiqués comme atteints ou suspectés de tumeurs malignes, alors qu’ils avaient été dépistés comme individus sains 2 ans plus tôt. Nombre d’entre eux ont subi une intervention chirurgicale permettant de confirmer ce diagnostic.
« L’effet de dépistage » ne peut donc plus constituer un facteur majeur depuis cette seconde campagne puisque l’état sanitaire préalable de la population étudiée était connu.
Mme Sakiyama indique par ailleurs que le professeur Shin’ichi Suzuki de l’Université Médicale de Fukushima, responsable des interventions chirurgicales, confirme qu’une opération était absolument nécessaire car les patients présentaient des invasions tissulaires intra et extra-thyroïdiennes, ainsi que des métastases dans le système lymphatique et les poumons. Ce tableau est difficilement compatible avec le seul « effet de surdiagnostic ».
Elle souligne également que les études ne portent que sur des enfants et jeunes adultes habitant la préfecture de Fukushima et excluent ceux des autres préfectures affectées par les retombées radioactives. Elle révèle que des cas de cancers diagnostiqués en dehors de l’Université Médicale de Fukushima n’ont pas été intégrés aux calculs, ni rapportés à la commission en charge du suivi. Des cancers à évolution particulièrement rapide ont par ailleurs été détectés entre la première et la seconde campagne.
Enfin elle dénonce les projets de réduction du suivi des cohortes d’enfants étudiés sous prétexte « d’éviter les effets de dépistage ». 86,4% des parents interrogés considèrent que le suivi doit se poursuivre et pour certains, être même amplifié.
Dr Toshihide Tsuda : un taux d’incidence des dizaines de fois plus élevé que dans le reste du Japon
Dans son intervention lors du webinaire « 10 years living with Fukushima » organisé le 27 février dernier par l’IPPNW Allemagne, le Dr Toshihide Tsuda de l’université d’Okayama, confirme que, sur la base des mêmes données fournies par l’Université Médicale de Fukushima, on peut observer pour les cancers de la thyroïde un taux d’incidence standardisé jusqu’à 82,4 fois plus élevé dans les zones les plus proches de la centrale par rapport à la moyenne du Japon. Les campagnes de 2016 à 2018 et de 2018 à 2020 confirment un rapport plus élevé.
Mr Tsuda présente une liste de 6 études portées à sa connaissance sur ce sujet, dont 2 menées par des chercheurs de l’Université Médicale de Fukushima et 4 par d’autres chercheurs. Les 2 études de l’UMF ne montrent aucun impact, alors que les 4 autres concluent à un impact significatif.
Il a adressé ses conclusions au gouvernement et à différentes autorités dont l’UNSCEAR, la Préfecture de Fukushima, l’Université Médicale de Fukushima et des médias locaux. Seule l’ISEE (International Society for Environmental Epidemiology) l’a pris en compte. Mais l’UNSCEAR a écarté ses remarques et les autres agences les ont passés sous silence. Pour Mr Tsuda, il est impossible d’établir une véritable discussion scientifique sur les impacts de la catastrophe de Fukushima.
Dr Alex Rosen : des interrogations sur l’étude menée par l’Université Médicale de Fukushima
Durant le même webinaire de l’IPPNW du 27 février, le Dr Alex Rosen, chef du service des urgences pédiatriques de l’hôpital universitaire de la Charité de Berlin et coprésident de l’IPPNW Allemagne, formule de nombreuses interrogations quant à l’étude menée au Japon.
Il déclare que, dès le départ, le but du Dr Sunichi Yamashita, chargé de l’étude et conseiller en gestion des risques radiologiques de la préfecture de Fukushima, était de montrer qu’aucun effet n’existait et de « calmer les inquiétudes des parents ». Il faut rappeler que Mr Yamashita avait également déclaré en 2011 qu’il suffisait de sourire pour ne pas être affecté par les radiations et qu’il aurait également déconseillé la distribution de pastilles d’iode.
Le Dr Rosen indique que les travaux ont été confiés de manière « monopolistique » à l’Université Médicale de Fukushima et que celle-ci a signé à cet effet, en 2012, un partenariat avec l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Atomique) dont le but est d’aider au développement de l’industrie nucléaire.
Il déplore que les examens de thyroïde soient très succincts (2 à 3 mn en moyenne), que le suivi au-delà de 25 ans ne soit pas optimal et que l’Université Médicale de Fukushima mette tout en œuvre, y compris la revendication d’un « droit de ne pas savoir », pour décourager les enfants ou jeunes adultes à poursuivre les consultations. Du fait de cette politique, plus de 200.000 d’entre eux ne sont maintenant plus suivis.
Utilisant toujours les données fournies par l’Université Médicale de Fukushima, il montre enfin que l’incidence des cas de cancers de la thyroïde ne cesse de progresser, année après année.
Pour plus d’information sur ces études indépendantes, nous vous invitons à visionner les interventions de ces trois scientifiques :
- l’intervention du Dr Hisako Sakiyama lors de notre webinaire « Fukushima 10 ans : Quelles réalités ? » du 6 mars sur notre chaine Youtube
- l’intervention du Dr Toshihide Tsuda lors du webinaire de « 10 years living with Fukushima » de l’IPPNW
- l’intervention du Dr Alex Rosen lors du webinaire « 10 years living with Fukushima » de l’IPPNW.