Le présent communiqué concerne le suivi effectué sur la zone d’exclusion de Tchernobyl (ZE) dont les sols et la végétation restent extrêmement radioactifs et qui comporte de nombreuses installations à risque : sarcophage du réacteur n°4, assemblages de combustibles irradiés en piscine et à sec, installations de traitement des déchets radioactifs, nombreux entreposages qui sont souvent de simples fosses où les déchets radioactifs ont été déversés en vrac et simplement recouverts de terre.
Les forces militaires russes ont pris le contrôle du site le 24 février dernier. Depuis lors, le personnel n’a pas été remplacé. Il est désormais très éprouvé. L’organisme ukrainien d’inspection de la sûreté nucléaire (SNIUR) a indiqué que l’une des deux lignes d’alimentation électrique extérieure avait été perdue dans la nuit du 2 au 3 mars, précisant que cette ligne n’alimentait pas des équipements directement liés à la sûreté mais que cette perte compliquait les tâches de maintenance et de réparation de certains équipements critiques pour la sûreté. Certes, des groupes électrogènes diesel de secours sont disponibles sur le site pour prendre le relais en cas de perte totale d’électricité mais ils dépendent eux aussi d’alimentation en carburant (sans compter que ces équipements ne sont pas toujours fiables).
La CRIIRAD s’est mobilisée depuis le premier jour pour suivre la situation et informer les citoyens sur les risques radiologiques liés au conflit. Son laboratoire a suivi de près les élévations des débits de dose enregistrés les 24 et 25 février, suivis d’un blackout complet sur les données tout au long du week-end qui a suivi.
Bilan des mesures dans la zone d’exclusion au 1er mars
Des taux de radiations plusieurs dizaines de fois supérieurs aux valeurs des jours précédents ont été mesurés dans la zone d’exclusion entre le 24 et le 25 février. La CRIIRAD en faisait état dans son communiqué du 25/02/2022.
Comme le montre la carte éditée par le laboratoire de la CRIIRAD, les augmentations du débit de dose concernaient 41 capteurs sur 66 (au minimum)(1). Selon le capteur, le taux de radiation a été multiplié par 2, 10, 20, voire plus de 50 (jusqu’à 576 fois pour le capteur de Ladyzhychi, à 30 km au sud-est de la centrale, passé de 0,1 à plus de 60 µSv/h). Les taux de radiations les plus élevés (en valeur absolue) ont été mesurés sur les capteurs les plus proches de la centrale de Tchernobyl, le 25 février à 10h40 (capteur SRTV à proximité du sarcophage : 92,7 µSv/h contre environ 3 µSv/h auparavant ; capteur DHS-2 : 93 µSv/h contre environ 8 µSv/h auparavant). Plus aucune mesure des capteurs n’a été publiée(2) dans les 3 jours qui ont suivi cette brusque augmentation.
Le service d’astreinte du laboratoire de la CRIIRAD a surveillé l’évolution tout au long du week-end.
Le lundi 28 février, sur un grand nombre de capteurs, les débits de dose étaient à nouveau disponibles, affichant des valeurs comparables à la situation antérieure aux élévations des 24 et 25 février. Cependant, dès le lendemain 1er mars, en fin de journée, l’actualisation s’est à nouveau interrompue. Depuis lors (constat effectué le 4 mars à 14h), aucune nouvelle donnée n’est disponible sur les sites qui mettent à disposition les résultats (à l’exception du point « Chornobyl », à 16 km au sud-est de la centrale : 1 valeur ponctuelle, à 8h, du 28/02 au 3/03).
Comment interpréter ces résultats ?
Dès le 27 février la CRIIRAD avait souligné que « Les risques radiologiques ne peuvent être sérieusement évalués tant que l’origine exacte de ces augmentations n’est pas établie avec certitude (artefact de mesure ? remise en suspension de matériaux radioactifs par des bombardements, incendies, passages d’engins militaires ? Atteinte à des installations de stockage de déchets radioactifs ?, etc.. ) et tant qu’on ne dispose pas de résultats de mesure de l’activité volumique de l’air ambiant dans la zone d’exclusion autour de Tchernobyl et ses alentours ».
Pour la CRIIRAD, l’hypothèse d’artefacts de mesure devait être retenue au même titre que l’hypothèse de mesures « réelles ». Dans un communiqué du 25 février elle indiquait « on ne peut exclure l’impact de perturbations électromagnétiques, voire d’une cyberattaque », d’autres causes de dysfonctionnement sont d’ailleurs envisageables. En revanche, la possibilité des perturbations électromagnétiques ou autres susceptible de perturber les mesures ne semble pas avoir été envisagée par les responsables ukrainiens qui mettaient plutôt en avant l’impact des engins militaires lourds remettant en suspension les poussières radioactives.
Toutefois, dans l’hypothèse bien sûr où les valeurs publiées le 28 février et le 1er mars étaient fiables, le fait que des débits de dose très élevés (jusqu’à plus de 90 µSv/h) aient retrouvé en quelques jours des valeurs comparables à celles enregistrées avant le 24 février rend très peu vraisemblable l’hypothèse d’une dispersion massive de matières radioactives.
La CRIIRAD considère que la piste de perturbations dans le fonctionnement des capteurs est désormais l’explication la plus cohérente mais sans exclure que des augmentations réelles du niveau de radiation aient pu se produire pour certains capteurs.
Étant donné le caractère lacunaire des informations et l’impossibilité d’effectuer des vérifications sur place, il faut rester prudent. Trop de questions se posent pour que l’on puisse conclure. Il faudrait évidemment qu’une inspection internationale soit conduite dans les meilleurs délais afin de vérifier la situation radiologique et la sûreté des installations. A ce stade, cela semble malheureusement exclu.